Huile

Un paysan de Jaén. Assis sur un banc, au cen­tre du vil­lage, devant le super­marché, la tête ronde, le vis­age sans rides. Un homme sim­ple, sans soucis et sans argent. A même le trot­toir, il a tourné une car­ton sur lequel il expose des bouteilles d’huile et deux paque­ts de fruits secs. Ce sont des aman­des. Il me mon­tre celles qu’il a décor­tiquées. Elles sont plus chères.
-Et l’huile?
-Oui, c’est la mienne.
Mais il n’a pas la mon­naie. “Est-ce que peux aller faire du change?” Je n’aime pas. Tou­jours ce sen­ti­ment que trans­met­tent les com­merçants: comme si, à échang­er une grosse coupure con­tre plusieurs petites, vous les voliez. Je fais mes fonds de poche. Cela ne suf­fit pas. Le paysan refait le cal­cul. Des aman­des s’échap­pent du paquet. Elles tombent sur le trot­toir. J’en ramasse une et l’avale. J’en ramasse une autre. Alors il com­prend: il y a un trou dans le sachet. Pour­tant, il con­tin­ue de le manip­uler. D’autres aman­des tombent au sol. A se deman­der s’il voit. 
-Celle-ci ou celle-là?
A pro­pos des bouteilles d’huile.
-Quelle est la différence?
Le liq­uide de la bon­bonne de droite est trou­ble, l’autre lumineux. Il les place dans le soleil.
-Moi, dit-il, je préfère celle-là!
Je fais comme lui, je me décide pour l’huile d’o­live trou­ble. Main­tenant que cette affaire est réglée, il prend mon bil­let de cinquante euros, l’empoche et s’en va. Sans faire atten­tion aux voitures, il tra­verse la route, entre dans un bar. Je suis sur le trot­toir, avec son car­ton, ses bouteilles, ses sachets. Les pas­sants vien­nent voir ce que j’ai à ven­dre. Ils renon­cent: un étranger ne cul­tive pas des aman­des et des olives. Au bout d’un long moment, le paysan revient. Il com­mence des cal­culs. Il le fait avec tant de peine que je vois pourquoi il est pau­vre. Quand à l’hon­nêteté de ses pro­duits, me voilà ras­suré : c’est bien ses olives et ses aman­des cueil­lis sur son ter­rain. Avec ce qu’il empoche, il met­tra quelques litres dans le réser­voir de sa voiture, juste de quoi remon­ter à Jaén. 
Arrivé à l’ap­parte­ment, je lis l’é­ti­quette sur la bom­bonne d’huile: “Pour con­som­ma­tion pro­pre. Pro­duc­tion de l’agriculteur”.