Fauteuils 2

Vingt-deux heures de peine entre mer­cre­di et jeu­di. Au télé­phone, Gala souligne mon idéal­isme. En effet, j’imag­i­nais faire seul. Or, ces heures, c’est compte tenu de l’aide des Uruguayens. “Tu vois à quel point ton ent­hou­si­asme te trompe?” Que répon­dre? Je regarde la pluie. Je suis épuisé. Ma voiture est pleine alors qu’elle ne con­tient que les livres de pre­mière urgence et les ordi­na­teurs; moi qui pen­sais y ranger tout le démé­nage­ment! Le matin du départ, je me lève à l’aube pour frot­ter les salles de bains et récur­er le sol de mar­bre. A dix heures, Najo vis­ite l’ap­parte­ment.
-Si tous les clients étaient comme toi!
J’aime bien ce type. Un “señori­to”. En Espagne notion com­plexe d’où dérive le con­cept du même nom défi­ni par José Orte­ga y Gas­set, le seul philosophe du pays, dans son livre célèbre, “Espagne invertébrée”. Dans l’im­mé­di­at, cela sig­ni­fie que jamais un homme tel que Najo ne met la main à la pâte. Son souci le plus grave et de porter une chemise repassée et une paire de mocassins pro­pres. Pour le reste, il a réponse à tout. Par exem­ple, il aurait rem­bal­lé Gala. Le señori­to, c’est celui qui sait. Inspecteur des travaux finis, dis­ait-on ne Suisse. Chez nous, dans les cam­pagnes de la Glâne, un tel car­ac­tère lui vaudrait un poste de bal­ayeur. Je veux dire, un poste assor­ti d’un encadrement absolu: direc­tives, cir­cuit, petit chef. De crainte qu’il ne fasse rien, jamais. Ici, en Espagne, les señori­tos sont des hommes qui comptent. Ils ser­vent de cour­roie de trans­mis­sion entre ceux qui tra­vail­lent, les ouvri­ers, et ceux qui, forts de con­nais­sances réelles, volent, les grands entre­pre­neurs et les politiciens.