Dénoncer le faux permet d’établir que l’on est dans le vrai. Qui n’a pas compris? Hélas, oui, hélas!
Mois : janvier 2018
Chat débotté
Le chat vendit sa patte arrière, puis sa queue. A l’été, il échangea sa fourrure contre une livraison de lait. Pour récupérer sa patte, il brada ses moustaches et ses oreilles. Comme il se promenait, une bande de malvenus s’interposa. Il fit valoir qu’il était le chat du village. Les animaux qui barraient le passage s’esclaffèrent. “Du village, peut-être, dit leur mandant, mais encore faudrait-il que tu fus un chat!”
Manducation
Toujours impressionné par la subtilité physiologique du dispositif humain de manducation dans la détection d’éléments nuisibles au corps, même petits ou minuscules, ce qui apparaît mieux que jamais à la conscience lorsque l’innerve la drogue, l’alcool, la fatigue avancée ou quelque excitation naturelle mal enregistrée.
Citoyen
Ce que nous allons devenir, je l’ignore, mais ce que nous sommes devenus, les changements qui sur vingt ans nous ont affectés, les tares produites, je les vois et je m’en affole. Mais ce qui bien plus m’affole, c’est le faire-semblant, ce regard de fausse bonhommie porté sur le désastre qu’adopte la majorité en se jouant. Au jeu de la négation du bien, des acquis et du savoir, quelle limite? Celle qu’offre un corps vrai, amélioré par une société de bonne aloi, travaillée, historique. Ce que nous sommes — attention — devenus, précisons: en Occident. Ce qu’on nomme chez les amateurs de théorie politique “un citoyen”, mais je me trompe, le citoyen ne résiste plus, il s’estompe, il se simplifie, il fond. Il n’est plus que souvenir. Quelques-uns résistent; plus hommes que l’homme des rues, ils appellent cela la fin de l’homme. Viendront et viennent déjà les viennent-ensuite, ceux qui, mi-hommes, s’égayent de recommencer tout le cycle. C’est dire que Nietzsche avait raison de hurler ses concepts: pour rater le moment critique, nul doute: nous allons le rater!
Aller au bout
Ce qu’on essaie de faire? Se faufiler. Aller au bout de son idée. C’est impossible ou presque. Non, c’est impossible. Donc la vie est une rançon. Cela est vrai pour tous. Lorsqu’on envisage le sort d’un point de vue aussi fondamental, il n’y a plus d’exceptions. Mais ce faufilement qui est la vie, dont je prétends qu’il est impossible, est réel. Et nécessairement. Avant que la mort ne mette fin à la tension, le vivant progresse sur sa trajectoire. S’il se rejoint, c’est une autre affaire. Car il y a les autres. Innombrables. Noués aux même destin. Faits obstacles. Mais là, nous sommes dans le symbolique, dans la philosophie, dans le discours, nous sommes dans la compensation.
Excellent Simenon
Dans La patience de Maigret: “Des saucissons, des andouilles, des fromages, en forme de gourde, des jambons à la couenne grisâtre comme s’ils avaient été conservés sous la cendre pendaient du plafond, et on voyait à la devanture d’immenses pains plats venus tout droit du Massif Central.” Pour la table autant que pour la langue, quand gagnera-t-on ce futur?
Pneumatique
Tristan Derême, de l’école fantaisiste, écrivant à Paul Valéry en 1923 suite à une confusion sur l’année de naissance du Sétois, 1872 ou 1871:
Ce baume accorde-moi, Muse, que tu distilles,
Et m’arrache aux doutes cuisants:
Comme Homère se plut à naître dans sept villes,
Valéry naquit en deux ans.
Et lui, à son habitude de rigueur, répondant par pneumatique:
Tristan, votre cœur est de bronze!
Je compte plus de jours que de bien je n’acquis
Depuis le jour où je naquis:
Trente octobre soixante et onze.