Lausanne — A la brasserie du Palace, le maître d’hôtel nous propose de revenir dans deux heures. Il fait nuit, j’arrive de l’aéroport, il neige, Aplo sort de l’école.
-Sinon, vous avez notre restaurant lounge. Il sert de la cuisine méditerranéenne.
-Méditerranéenne? Qu’est-ce que ça veut dire? Arabe?
-Provençal, nous répond ce Français.
L’ascenseur de l’hôtel nous descend au niveau jardin. A l’entrée de la salle à manger, une sorte de Richard Clayderman. Il fait ses gammes. Nous remontons.
-Cela ne vous convient pas? Demande le réceptionniste.
-Il y a un piano. Dites-moi, où peut-on manger dans le quartier?
-Au Romand.
-Non, non. Autre chose.
-Je ne suis jamais allé plus loin.
Le Royal? Mais Aplo y a emmené sa copine pour fêter la première année de leur rencontre:
-Trop léger.
-On mange au Royal et ensuite je te fais des pâtes.
Nous aboutissons à la Croix d’Ouchy.
-Une table pour deux je vous prie!
-Quel nom dites-vous?
-Je n’ai rien dit.
-Pour huit?
-Deux, mon fils et moi.
-Ah, je comprends: vous n’avez pas réservé!
-Et nous aimerions manger.
-C’est impossible. Après Noël, peut-être.
Alors me vient l’idée d’aller à la patinoire. La dernière fois que j’y suis allé, mon oncle était champion de hockey, j’avais quinze ans. Au collège du Belvédère, les filles de ma classe demandaient de ses nouvelles avant les matchs. Le hockey sur glace m’a toujours fasciné, mais je me désintéressais de la compétition. Assis dans les gradins, je suivais les mouvements et buvais mes bières. Que l’équipe gagne ou perde m’était indifférent. D’après mes camarades, j’avais un problème.
La salle de restaurant de la patinoire a gardé son mobilier d’époque. Sur la glace, des juniors à l’entraînement. Je commande une chope et une assiette valaisanne, puis je cherche des traces du Lausanne Hockey Club des années 1980, une coupe, des photos, des médailles… Aplo mange une pizza (ce que je voulais éviter), il me parle de ses notes, puis, sans que je demande, de son avenir et de ses projets, “parce que, me dit-il, ma copine exige que je sache ce que je vais faire”. Il me tend son téléphone. Le message affiché est la réponse qu’il a envoyé à sa copine. Aplo écrit qu’il étudiera les sciences économiques s’il réussit le bac, puis qu’il partira à pied, vagabondera, enfin “comme il le faut”, qu’il mourra.
-Mais ne t’inquiète pas, me dit-il, ce n’est pas ce que je vais faire.