Avec ma hache forgée à Albacete, parti sur le sentier du Graal qui aboutit à l’ermitage de San Adrían (on va croire que j’invente). Le troupeau du cousin de Calasanz venait de passer et j’enfonçais dans la gadoue. Comme ces jours j’ai un problème de chaussures — lié au déménagement — je portais des mocassins de daim à tiges. Afin de ne pas souiller, j’avançais donc avec circonspection, ce qui, un promeneur m’eut-il croisé, aurait paru étrange, vêtu que j’étais de pantalons de camouflage de l’armée thaïlandaise. J’attins la ferme où j’éloignai deux chiens de garde de mon bâton et grimpai un itinéraire de randonnée à cheval qui passe sur la France. Mais revenons au présent: il y a le choix et autant de variétés de sapins; rien à voir avec ces produits israéliens bien coordonnés, des sapins des Pyrénées, vifs et verts, certains constellés de pives. Sauf que la plupart ont un défaut. Celui-ci est grillé sur le flanc, celui-là tire sur le roux. Je saute en bas du chemin et m’engage dans un lit de rivière à sec. Alors je trouve mon spécimen, un arbre de trois bons mètres, raide, fourni et viril comme une flamme. Je sors ma hache, j’entame sa base. Aussitôt, je vois pourquoi je me suis coupé à Malaga en jouant devant la cible de mon bureau: aiguisé, le métal pénètre sans effort. Les entailles sont si profondes qu’en quelques coups le le sapin se couche. Je le cache dans le lit de rivière, puis je retourne à Agrabuey par la route (trop de boue de l’autre côté). Dans le vallon, les vaches sont accompagnées de leurs veaux. Longtemps que je ne voyais pas ce spectacle. Puis je découvre cette bergerie en ruine. Une maison basse de pierres cendrées. Elle ouvre sur un champ muré, elle a sa fontaine, ses abreuvoirs, en contrebas s’écoule la source qui irrigue Agrabuey. Quand je dis “en ruine”, il faut préciser: plus de toit, de la végétation dans les creux et les poutres cassées. Mais le soleil baigne si bien la scène que si je m’écoutais, j’appellerais immédiatement le propriétaire et si j’étais de ceux qui possèdent un carnet de chèques, je signerais. Avant qu’elle ne finisse, c’est dans ce genre d’endroit qu’il faut espérer refaire sa vie.