Sapin

A mon arrivée dans la région, j’ai acheté un sapin. Il n’é­tait pas plus grand que ma main et je compte les racines; celles-ci plongeaient dans un gel bleu. Enfer­mé dans un car­ton, ses quelques aigu­illes lorgnaient par une fenêtre afin que le spéci­men dise son nom. A l’év­i­dence, il n’avait jamais vu la nature. D’ailleurs, il n’é­tait pas seul. Il côtoy­ait quar­ante col­lègues tous iden­tiques dis­posés sur une palette au milieu des ton­deuses, de la vais­selle, du beurre et des fruits — nous étions dans un super­marché. N’ayant ni ter­rain ni terre, je n’avais aucun besoin d’un sapin, ma pri­or­ité d’ameuble­ment allait aux lits, aux chais­es et à une table puisque le nou­v­el apparte­ment était loué vide, cepen­dant je n’hési­tais pas, j’a­chetais le sapin. Pour l’ac­cli­mater, je me rendis chez un Chi­nois à qui je demandais du ter­reau uni­versel que je ver­sais dans un pot ramassé sur une poubelle, puis je trans­plan­tais le spéci­men, reti­rant le sachet de gel bleu qu’il avait autour du pied. Plus tard, lorsque je par­tais à l’é­tranger, je pris soin de remet­tre les clefs au pro­prié­taire afin qu’il lui donne de l’eau pour tenir devant le soleil andalou. Le sapin est tou­jours sur la ter­rasse, au-dessus de la mer et il a pris de la taille, dis­ons qu’il a triplé de hau­teur, mais ceci d’é­trange s’est pro­duit récem­ment: il s’est séparé. D’un côté il est resté sapin, de l’autre est venue une branche inédite, d’une var­iété exotique.