Au supermarché du village, devant ces pommes jaunes, calibrées, brillantes, vendues par lot de dix, je retiens Gala:
-Elles n’ont pas l’air bonnes!
Trop tard, les voici dans notre caddie. Peu après, elles sont dans la coupe à fruits. La semaine suivante, nous quittons l’Andalousie pour les Pyrénées — avec les pommes. Toujours aussi jaunes et rondes, elles occupent le plan de travail de notre cuisine, puis embarquent dans le coffre de la BMW à destination de Toulouse. Six jours passent, elles sont de retour dans les Pyrénées. Je les compte: il y en a toujours dix. Je ne me reproche rien, ma première réaction préfigurait mon attitude: je n’en mangerai pas. Gala s’était récrié: tu dois manger des fruits! Sonne l’heure du départ pour la Suisse. Comme Gala ne veut rien amener chez son fils, elle fourre les pommes dans un sac à commissions avec un chou, du céleri, un pot de miel, un demi paquet de café. Celui-ci reste chez Mamère, dans l’entrée de la ferme, pendant quatre jours, après quoi il regagne le coffre de la voiture. Depuis sept jours que nous sommes à Munich, les pommes sont là, dans un panier d’osier, inchangées, rondes et solides comme le premier jour. Nul doute, ce sont d’excellentes pommes, elles font illusion. L’avenir dira si elles tiendront le retour en Andalousie
Mois : août 2017
Pommes
Visibilité
Concierge-jardinier (donc ni l’un ni l’autre), personnage au caractère identique où qu’on le rencontre à travers le monde. Trait particulier, en manque de visibilité. Voilà cinq jours qu’il n’y a ni bruit ni mouvement autour de l’immeuble. Je sors dans le jardin faire du sport. Quelques minutes plus tard, le concierge-jardinier démarre la tondeuse et traîne les poubelles sous mon nez.
Voix 2
Nous écoutons de la musique au salon, lorsqu’Aplo remarque:
-Tu entends?
-Quoi?
-Un son aigu, minuscule!
-C’est dans le morceau.
-Non, ça vient d’ailleurs.
Luv se concentre. Elle n’entend pas. Moi non plus. Aplo nous fait lever du canapé, il le déplace, trouve une malle à jouet, retire le couvercle, fouille, exhibe un valise à boutons colorés, la tient devant nous. Au bout de quelques secondes, une message sort du ventre de la valise. J’éteins la musique. Même dans ce silence, j’ai de la peine à percevoir le son.
-Petit déjà, tu captais les ultra-sons.
De mon côté, depuis qu’a explosé le pavillon de mon oreille gauche, j’entends moins bien. Cependant, chaque fois que j’ai réalisé un audiogramme à l’hôpital, le médecin m’a assuré que j’avais une ouïe parfaite. Dans l’immédiat, le problème est que le son émis par la valise, quand bien même aurais-je pu l’entendre depuis la chambre à coucher — ne ressemble pas à la voix de fille que j’ai entendu prononcé l’autre nuit “I AM AWAY”.
Electrototalitarisme (suite)
La décadence calculée des moyens critiques que promeuvent les écoles d’État s’accompagne du perfectionnement de langages mathématiques réservés. Sont prélevés sur le stock des apprenants les esprits aptes à faire progresser les recherches scientifiques mises au service des visées financières et transhumaines d’une minorité au détriment du travail général de la pensée conçue comme une méthode de réduction des risques et d’amélioration du bien-être. Ce travestissement du projet libéral d’égalité réelle tel que défendu par les Droits de l’homme des deux révolutions américaines et françaises témoigne de l’ascendant absolutiste du groupe marchand sur les représentants politiques. Tenus une fois de plus dans l’histoire par ses créanciers, les États se voient assigner pour tâche l’entretien d’un discours de propagande autour des valeurs libérales qui limite dans le peuple la perception de l’entreprise d’exclusion dont il fait l’objet de la part de la minorité marchande. Celle-ci, comme tout pouvoir venu à maturité, conçoit sa relation avec le reste des vivants sur le modèle de la secte, le tout du corps social devant être sacrifié pour l’assomption des élus. Quand les maîtres de la finance et de l’électronique auront épuisée les possibilité de la vie dans le temps et l’espace, ils poursuivront leur existence sous une forme synthétique. Alors que pour un Condorcet, le souci de mis en commun des connaissances des savants était une condition nécessaire de l’aboutissement du projet de citoyenneté universelle, ce même projet, vanté au quotidien par la doctrine officielle des États contemporains (et particulièrement les plus anciens — Hollande, Angleterre, Allemagne, France — qui se revendiquent du socialisme technocratique), leur permet d’apparaître aux yeux du peuple, au sein même de cette relation diabolique nouée avec le le groupe marchand, comme le père protecteur face au père fouettard. Devant l’étendue de la catastrophe sociale qui s’annonce, une telle phrase de Condorcet semble plus que jamais révolutionnaire: “Les savants (pour étendre le champ sémantique du terme, mieux vaut écrire “les sachants”) ont pour fonction d’éclairer l’opinion d’un peuple qui délibère et croit à l’efficacité démocratique de la parole échangée sur la place publique” (Fragment sur l’Atlantide ou Efforts combinés de l’espèce humaine pour le progrès des sciences)