La plupart des carnets offerts sur l’étalage étaient endommagés. Soit la tranche était décousue, soit le rouge de la couverture passait. Cependant, en prévision d’un long voyage, il me fallait en acheter trois. Je choisis les meilleurs. C’est alors que je reconnus mon écriture. Un petit texte, tracé de ma main, au stylo, figurait en première page du carnet le mieux conservé. Avec ce titre: Prison.
J’appelle la vendeuse. Elle se saisit du carnet, comme moi constate:
-Vous l’aurez perdu lors d’une précédente visite !
-C’est impossible, il y a un instant, j’ignorais tout de cette papeterie!
La vendeuse, persuasive:
-Quelqu’un l’aura volé à votre domicile pour le placer ici…
Je garde le silence et raisonne: d’abord, personne ne sait l’adresse de mon domicile; moi-même, je ne suis pas certain d’en avoir un; enfin, si quelqu’un s’était avisé de me soustraire un carnet, je n’aurai pas tardé à m’en apercevoir — ces derniers temps, j’ai peu écrit.
Comme la vendeuse s’en retourne, je manipule le carnet incriminé. Je m’aperçois alors que le texte n’a pas été tracé au stylo, il s’agit de la reproduction imprimée d’un fragment du manuscrit original.