Jesus

Avec l’in­for­mati­cien, nous par­lons de pêche. C’est un homme grand qui a le pro­fil d’un Sar­razin. J’ai le nez grand, le sien con­cur­rence celui du sphinx. L’ap­pen­dice part du bas front et pro­jette son ombre jusqu’au men­ton. Avec un col­lègue, il est venu tir­er la semaine dernière des câbles de fibre optique à tra­vers l’ap­parte­ment pour m’obtenir une vitesse de pointe dans le bureau. Ils en ont prof­ité pour branch­er l’écran de télévi­sion sur une colonne récupérée au bureau de Genève. Une fois par­tis, j’en­tre mon mot de passe,  la machine — qui vient pour­tant de s’ou­vrir en présence des deux hommes —  refuse de s’ou­vrir. Aujour­d’hui, il est de retour pour ten­ter de remédi­er à ce prob­lème, mais d’abord, nous sor­tons sur la ter­rasse et il me désigne les zones de pêche de la côte puis me mon­tre son bateau posé sur le sable. Pen­dant qu’il écrit des lignes de code pour que mon ordi­na­teur veuille bien accepter le mot de passe qui fut tou­jours le sien, je le dévis­age: com­ment un type pareil, descen­dants d’Arabes peut-il se prénom­mer Jésus? Me revient alors en mémoire l’anec­dote de Saragosse. Début févri­er, lorsque je payais l’achat de la mai­son chez le notaire, l’un des vendeurs, apprenant le nom du représen­tant de l’a­gence, s’ex­clame:
- San­tacreu? Vous êtes juif!
-Pas que je sache, répond le con­cerné.
-Mais si, com­prenez! Sous les rois catholiques, ceux qui étaient con­ver­tis de force rece­vaient les noms de bap­tême les plus explicites. Une façon de pro­pa­gande. Un moyen aus­si de musel­er la cri­tique et de garder les financiers israélites dans le giron de la monar­chie.
Cepen­dant, Jésus tra­vaille. Les une après les autres, les lignes de code sont refusées par l’or­di­na­teur. Il ne gobe pas, ne veut pas recon­naître mon mot de passe. Alors l’in­for­mati­cien la colonne sous le bras:
- Je vais aller voir ça. De toute manière, aujour­d’hui il y a trop de vent pour aller pêch­er.