Sierras

A Vil­lanue­va de Guadix, les maisons sont creusées dans la roche poreuse. Le paysage aligne devant l’hori­zon des mon­tic­ules de terre, des chem­inées de fée et des ravins. Depuis des siè­cles, les habi­tants nichent dans des anfrac­tu­osités. Les plus for­tunés pos­sè­dent une façade. Elle ferme leur grotte. Nous appro­chons du vil­lage sur une route qui se fau­file entre les reliefs quand la voiture qui nous précède se retourne. Le camion qui arrive en sens inverse s’ar­rête. Le chauf­feur accourt. Les deux occu­pants de la voiture acci­den­tée sont debout, ils se tâtent, ils font des gestes. Tout va bien. Il est quinze heures. Par­tis en fin de mat­inée, nous avons con­tourné la Sier­ra Neva­da. Enneigée fin novem­bre, elle brille comme un miroir. Nous roulons fenêtres ouvertes, le soleil tape. La neige coule jusque dans la plaine. Mais voici le vil­lage. La tête dehors, Aplo et Luv cherchent une enseigne de restau­rant. Le vil­lage est plein d’an­gles, les immeubles sont décalés, les rues torves. Nous tra­ver­sons une place, la Dacia roule sur un chemin de terre. Des collines rouges émer­gent des chem­inées maçon­nées. Les goss­es jouent au foot, les adultes fument, un ado­les­cent répare une moto; il a éparpil­lé les pièces du moteur à même la route. Je zigzague. La rue s’achève sur une lev­ée de terre. Nous faisons demi-tour sous le regard de dix gitans. Ils se sont écartés pour laiss­er pass­er, mais à en juger par les mou­ve­ments, cela ne va pas dur­er: ils vont se rabat­tre, repren­dre la rue. Dans l’autre direc­tion, même spec­ta­cle: femmes en fichu sur les porch­es, paille pour les bêtes, pous­settes rafis­tolées rem­plies de bûch­es, mâles en chemis­es à jabots appuyés aux murs. L’ado­les­cent démarre. Com­ment a‑t-il fait pour répar­er aus­si vite? J’ac­célère. Je le sème à la hau­teur d’une usine aban­don­née. Là, nous dou­blons la voiture acci­den­tée. Les deux con­duc­teurs con­tin­u­ent d’é­val­uer les dégâts. Nous pas­sons sous l’au­toroute. Vil­lanue­va est un faubourg, Guadix est de l’autre côté, avec son église sur un éper­on de roche. Les Espag­nols ont dû migré vers des maisons en dur lais­sant les grottes à une pop­u­la­tion de gitans. Finale­ment, nous man­geons dans un mesón pour chauf­feurs-livreurs. Un coupé Mer­cedes de 1980 est garé devant la salle à manger. Une famille passe à cheval. Une heure plus tard, nous descen­dons enfin vers Estación, la gare de briques ruinée d’où par­taient les con­vois de fer extraits de la mine de Las Menas. L’hô­tel est à mille mètres, au bout d’une route privée.