De retour de Suisse, je trouve les chaises telles que je les avais laissées: en pièces. Puisqu’il faut s’asseoir, j’en assemble deux. Assis, je m’emporte contre le propriétaire. Il écrit un message. Venir en notre absence le gêne. Ce que j’aimerais, c’est ne jamais le voir. Il annonce sa venue. Je lui promets d’être là. Peu avant le rendez-vous, je m’éclipse. Sur une terrasse du bord de mer, je commande une canette. Lorsque je remonte, je m’excuse de l’avoir laissé seul avec Gala.
-Une urgence! Donne-moi encore une minute!
Téléphone en main, je sors sur la terrasse et discute de vive voix avec un interlocuteur imaginaire. Puis je vérifie quelque chiffres sur l’écran d’ordinateur. Avant de descendre à la plage, j’ai affiché des graphiques complexes.
-Voilà! Faisons vite, le prochain appel en va pas tarder et ça vient de New-York.
Ramon est un homme gentil. Il a travaillé au cœur d’une petite hiérarchie dans le domaine des assurances. Ni trop haut, ce qui implique des responsabilités, ni trop bas, ce qui implique de travailler. Sauf à me répéter: à ses yeux, dire c’est faire. Notre dialogue est donc marqué au sceau de la déformation professionnelle.
- Ramon, il faut absolument que tu changes ces chaises, lui dis-je. La semaine dernière, je suis parti à la renverse. Un peu plus, je me brisais la nuque
-Bien. Je prends note. Donc nous disions. Premier point… Changer les chaises. Il y a autre chose?
-Tu comprends, lui dis-je, j’ai du travail par dessus la tête. Nous serons absent en début de semaine. Une négociation. Si tu pouvais en profiter…
Et je l’emmène vers l’ordinateur pour vérifier les dates de notre absence tout en m’assurant qu’il voie les graphiques.
-Les affaires, hein?
-Oui, le marché monte. Nous avons fait 30% de chiffre d’affaire de plus sur les derniers mois. L’argent ne manque pas, mais je cours.
-Bien. Je t’ai aussi apporté les factures d’eau et d’électricité.
Du tiroir de la commode, je sors une enveloppe de carton et la fouille.
- J’ai de tout là-dedans, des Dollars, des Livres Sterling, même des Ringgit malais. Attends je vais trouver.
faute de change — je ne présente que des billets de cinquante — il en rabat de seize euros sur les montants habituels. Puis il empoche la feuille sur laquelle il a noté “chaises à remplacer” et rentre chez lui. A moi de débarrasser le plateau de table des pieds, dossiers et placets afin qu’on puisse au moins dîner.
Les jours passent. Chaque petit-déjeuner, avant de m’asseoir, je retourne la chaise, je monte dessus pour la consolider. Et à midi et le soir. Le temps passe.
-Quel jour a‑t-il dit?
-Mardi au plus tard, fait Gala.
Jeudi, il envoie un message.
“Je passerai demain matin”.
“Ramon, le matin, je dors.”, lui dis-je.
Donc, je fais une exception. Je me lève avant dix heures. Pas de Ramon. Le lendemain la sonnette retentit. Je suis encore au lit. Gala est à la cuisine. Je la rejoins. Elle me montre quatre chaises en pin. Sales, fendues, retapées. Des gitans n’en voudraient pas.