S’inspirant de la théorie du “mème” de Dawkins et de la notion de “foule psychologique” de Gustave Le Bon, le neurologue Naccache propose dans “L’homme réseau-nable” une analogie entre l’état épileptique individuel et l’état inconscient social, c’est-à-dire l’appauvrissement à niveau collectif des contenus communiqués et le recul de la capacité critique qu’elle entraîne. Il souligne le rôle ambivalent (comme dans l’approche pharmacologique de Stiegler) de la technologie de communication qui permet à la fois de produire une conscience distraite de soi et fascinée par un objet exclusif et la possibilité nouvelle d’opposer aux pouvoirs une raison individuelle (de se faire, en tant qu’individu, entendre par tous). Parlant de cette distraction que requiert la gestion totalitaire des foules, il écrit: “Des croyances massivement partagées sont plus aisément identifiées (à tort!) comme des évidences indubitables que comme des croyances”. En ce sens le concept de “retour du religieux” que Malraux a lancé sans y réfléchir déploie une fois de plus ses effets pernicieux. Il permet de présenter sous un aspect positif l’introduction massive au sein des sociétés occidentales d’information ouverte d’individus du tiers-monde fascinés par des vérités de religion; précisons: fascinés faute de posséder un recul critique porteur de débat. Il n’y a donc aucunement retour du religieux, mais appauvrissement de régions entières du macrocosme social (pour filer la métaphore du cerveau qu’utilise Naccache). Et, plus grave, dès lors que notre société de communication offre un outil de grande efficacité à la raison individuelle, la possibilité pour des individus du tiers-monde absolument distraits (fermés au débat, si l’on veut) de présenter leur croyance comme le résultat d’un débat.