L’orage menace. Nous roulons dans le Jardin anglais, à la hauteur du monoptère, quand tombent les premières gouttes. Sur la pelouse du lac, les dindons ressemblent à de gros flocons de ouate. Nous empruntons le pont sur le canal où une dame en robe bavaroise vend des paniers de fraise et trouvons refuge à l’Osterwaldgarten, cette auberge avec terrasse que nous fréquentons depuis cinq ans. La discussion porte sur les appartements: Munich ou l’Espagne, L’Espagne ou Genève.… mais alors que devient Munich? La ritournelle des possibilités, des moyens, des envies, le pesage des qualités et des défauts. Résultat nul, comme d’habitude: je plaide pour le désert, Gala pour la culture, je préfère la langue espagnole, Gala l’allemande. Le vide m’attire, Gala aime le plein. Puis vient l’éclaircie. Nous demandons la carte des mets, entamons l’exercice quotidien de traduction. A la table voisine, un couple âgé, élégant. La dame se penche. Dans un français impeccable, elle entreprend la traduction des spécialités de la maison. Son homme à cet air fatigué du riche à qui la vie n’a rien refusé. Et un côté mâle dominant. S’installent bientôt à leur table un jeune, puis un autre jeune. Ils ne se ressemblent pas, ils ne ressemblent pas aux parents. L’homme lève son bock de bière, nous renvoyons la politesse. Apprenant que nous sommes Suisses (les Allemands se plient en quatre pour se montrer aimables quand ils croient deviner que vous êtes Français), il raconte qu’il a fait sa première communion dans une église de Montreux. Arrive un troisième jeune. Épaules carrées, coupe de cheveux martiale, il commande une bière de cave que le garçon en culottes de peau lui apporte dans une chope de grès. La conversation roule alors sur l’Espagne. La dame m’écoute gravement vanter les mérites de la côte, puis déclare l’air affecté :
- Pour les jeunes, c’est terrible, il n’y a pas d’avenir!
Peu après, nous apprenons que les trois invités du couple sont des jeunes doués qu’il s’agit d’aider à réussir dans leur carrière.