Belle salle de classe aux pupitres de bois blond. Nous sommes quatre élèves sur ce banc, garçons et filles assis en demi-cercle. Le professeur donne lecture d’un texte de Racine. Il défile, élégant et supérieur, mais humble, dévoué. Soudain il ferme son livre et me tend un chat.
- Déposez-le derrière vous!
Je fais valoir que c’est une mauvaise idée, que j’ai déjà un bébé dans le dos et que ces deux-là ne feront pas bon ménage. En réalité, je ne veux pas d’un animal derrière moi.
Le professeur termine la lecture, puis donne les consignes de tenue. Il fait venir un élève et montre comment afficher à hauteur d’épaules, sous la nuque, une bande de tissu comportant notre nom et celui de la classe.
- Au cas où vous vous perdriez!
Aussitôt, nous sommes jetés dans le monde. Je marche à travers les blés ondoyants. Un monastère se dresse sur la colline. Dans le verger, des pommes, des cerises. Je rejoins une tablée de mangeurs. Tous n’ont pas pris place. Ils se font des politesses. J’essaie de comprendre les règles locales de la préséance. Je fais signe à un mangeur de me précéder. Puis à un autre. Maintenant, il ne reste plus qu’une place sur le banc. Or, elle est creuse, c’est une chiotte. Le maître de cérémonie cherche le couvercle. Il trouve un morceau de planche, veux l’ajuster. J’essaie de m’asseoir. Cela ne va pas: je vais tomber dans la fosse à merde. Il est ennuyé: cette planche qui peine à s’ajuster est un défi esthétique. Cependant les commensaux passent les plats. La nourriture est délicieuse. Mon voisin découpe une tranche dans un gâteau au chocolat. Considérant l’importance de cette tranche, je vois que je vis pauvrement, dans un endroit sans culture, en Espagne, au bord de la mer, avec des gens frustes. Quel monde raffiné forme cette tablée de sybarites! Prétextant que je n’ai pas encore goûté au salé, je refuse la tranche de gâteau .
Plus tard, quand j’atteins le cloître du monastère, un guide vient à ma rencontre. Il m’entretient de ma pièce de théâtre.
- Laquelle, celle dont le héros est un pneu?
Et comme il m’explique l’échec de ses démarches à Paris, je le rassure:
- Ah, le contemporain, ce n’est pas facile!
Satisfait de m’en tirer à bon compte, je quitte le monastère pour divaguer à travers champs. Dans les blés je trouve monté sur chevalet une petite toile dans le style pompier. Elle est signée A. Schmidt. Un paysage de campagne. J’hésite à la voler, mais non, dans ce monde, cela ne se fait pas. Plus loin, je trouve de vielles montagnes russes. Affaissées, brunies par la rouille, elles ressemblent à la carcasse d’un dinosaure. A son pied, des tréteaux. Tout un personnel s’agite. Des agents de la culture de Salamanque, me dis-je aussitôt. Je regarde les filles, elles sont belles. Mais quand je me rapproche, je vois ce qu’elles sont, des agents de la culture, des agents qui font circuler cette bouillie de l’esprit qui nous emportera tous. D’ailleurs, elles remontent dans le bus qui les a amenées, avec leurs coiffures, leurs ongles vernis et leurs classeurs de gestionnaires. Je me tourne à nouveau vers les champs. Un moine en habit blanc cueille une pomme. Ma contemplation est interrompue par un bruit. Il vient de l’intérieur d’un bâtiment sans fenêtres. Trois ouvriers s’apprêtent à punir un agent de la culture qui a molesté une vierge. Le plus remonté retire sa ceinture pour le fesser. Finalement, c’était une mise en scène. La jeune fille tombe dans les bras de l’ouvrier et l’embrasse. Celui-ci lui enfile deux doigts, à travers le tissu du pantalon, dans le postérieur de la vierge. Puis il lâche prise et emmène ses camarades sur ce mot d’ordre:
- Il y a mieux à faire pour les hommes que de s’intéresser aux femmes!