Chose

Lors d’une course de fond, la pen­sée ressem­ble à une valve. Elle libère des con­tenus incer­tains sur un rythme sac­cadé. Cela tient à la foulée, mais aus­si à l’im­pos­si­bil­ité de mobilis­er pleine­ment l’e­sprit, req­uis comme il l’est par l’ef­fort. Se pro­duisent alors des hal­lu­ci­na­tions rationnelles. Ce soir, autour de dix-huit heures, tan­dis que les familles finis­sent leur repas du dimanche, je courais en direc­tion d’Almería. La piste de sable qu’empruntent cyclistes et marcheurs passent entre le quai et la plage. Soudain, je lève les yeux et aperçois une homme qui porte les tables de lois de Moïse. Il s’ag­it en fait d’un garçon de café qui tient pressé con­tre sa poitrine deux séries de chais­es blanch­es. Plus loin, je vois un coléop­tère géant. La dernière appari­tion est plus inquié­tante. Un heure plus tard, sur le retour, je regarde la mer. Soudain, une pieu­vre mécanique émerge de la brume. Mas­sive et grêle, elle se tient sur l’hori­zon. Jamais je n’ai vu pareille sil­hou­ette. Pour don­ner une idée de la vision, on peut penser à une araignée d’eau, mais ici, le mon­stre est mécanique: pattes courbes, plate­forme cen­trale et une tour de plusieurs dizaines de mètres. Je la suis des yeux. Impos­si­ble de savoir si elle avance. Elle est de face, à quelque 10 kilo­mètres. Énorme. Un cata­ma­ran? Trop haut. Une plate­forme indus­trielle? A cet endroit? Ce matin, il n’y avait rien. Des films tels que Bat­tle Los Ange­les 2012 ou World War Z me revi­en­nent en mémoire. Même image inau­gu­rale. Quelque chose appa­raît. Puis l’apoc­a­lypse se déclenche. Je con­tin­ue de courir. Un héli­cop­tère de la police remonte la côte à basse alti­tude. Sur la plage, les baigneurs le désig­nent à leurs enfants. Mais nul ne sem­ble voir cette machine qui se dresse sur l’eau. Je me frotte les yeux. La chose est tou­jours là. Quand un groupe de pas­sants mar­que un arrêt sur le quai. Les hommes lèvent le bras, pointent sur la chose, les femmes met­tent leurs mains en visière. Ces gens-là habitent toute l’an­née au bord de l’eau, se promè­nent pour ain­si dire chaque jour sur le quai et ils sont sur­pris. Je pour­su­is mon chemin, pénètre dans le pre­mier d’une longue série de tun­nels (per­cés dans la falaise). Quand je ressors près de mon vil­lage, la chose a disparue.