- Donnez-moi trois mangues bien mûres, dis-je au gitan, et il me toise scandalisé. Lui aurais-je dit que j’avais couché avec sa sœur derrière les cageots qu’il n’aurait pas réagi plus vivement.
- Comment, s’exclame-t-il, que vous voulez-vous dire? Je vais vous expliquer… Et pour ménager son effet, il attend que les autres acheteurs, intrigués par ses vociférations, se retournent et prêtent oreille. Je vous explique: j’ai ici des piments, là des avocats et devant vous des mangues. Je ne vends rien que ces trois choses et je connais parfaitement les mangues, les avocats et les piments! Il n’y a rien de tel que des “mangues bien mûres” parce que toutes les mangues qui sont ici sont parfaites. Il ne saurait donc y avoir sur ce tas une mangue plus mûre et une mangue moins mûre! Tenez, j’en prends une au hasard, je la découpe, la voici! Regardez-moi cette chair! Prenez! prenez! Je vous la donne pour que vous la goûtiez! Si elle ne convient pas, dîtes-le toute de suite! Alors, comment est-elle?
Et aussitôt qu’il a ensacheté mes trois mangues, il recommence avec les avocats:
- Les avocats, c’est une autre affaire. Je vais vous montrer comment on vérifie leur perfection. Il attrape un fruit d’une main, de la pointe du pouce dégoupille la queue comme on ferait d’une grenade. Là, si c’est pas noir dehors, sous la queue, c’est pas noir dedans! Alors, quoi, c’est noir? Est-ce que c’est noir?