Pilules de drogue qui me font dormir six heures entre Kuala Lumpur et Istambul, puis à l’arrivée, cinq heures du matin, deux canettes de bière. Le vol suivant, pour Genève, embarque deux clientèles: des skieurs anglais et des Turcs à passeport suisse. Parmi ces derniers, un géant. Cheveux drus et gominés, épaules de lutteur, barbe Fidel Castro, lunettes de soleil carrées. Entrés avant les autres passagers, assis près des toilettes, nous avons pendant quelques minutes, situation rare, le sentiment de voyager seuls à bord de cet Airbus A 320. Quand le géant surgit au fond du couloir, je comprends pourquoi: il marche à son rythme, qui est lent et nul n’ose le dépasser. Il trouve sa rangée, ouvre le compartiment à bagages, range son sac, reste debout, au milieu du couloir. Trois passagers patientent derrière lui, puis dix, puis quinze. L’homme retire son sac, l’ouvre et le fouille. Il le referme, le range, demeure là, dans le couloir, obstruant le passage. L’hôtesse qui se tient à notre hauteur bat la semelle avec nervosité, mais n’intervient pas. A Gala, je désigne le passager qui attend derrière le géant. Il rage. Et attend, et se tait. Situation qui jette un éclairage cru sur les avantages de la nature, et la crainte, et la lâcheté.
Nous volons pendant deux heures. Je regarde un film, Gala dort. En milieu de matinée l’appareil survole le Mont-Blanc. Les Anglais ravis cherchent les noms des pointes, des glaciers, des vallées. Ils hésitent, se trompent, savent, ne savent pas. Aussitôt un sommet est il apparu, aussitôt il disparaît: cela ne porte donc pas à conséquence, aucun ne pouvant vérifier si l’autre dit vrai. Alors, le pilote annonce que la tour de contrôle de Cointrin, nous met en file d’attente. Pendant une heure, nous tournons au-dessus des Alpes. Mont-Blanc, vallée de l’Arve, Léman, vallée verte, Mont-Blanc. Les Anglais, la face poussée contre le hublot, ne pipent plus mot.