Là-bas, nous dit la propriétaire chinoise, près du cocotier. Je salue, empoigne les valises, marche dans le sable. Gala me montre l’entassement de roches à l’entrée de la forêt de mangroves:
- Le bateau ne pourra pas passer.
- Au contraire: il s’agit d’une embouchure artificielle de la rivière. Elle aura été draguée.
Peu après, nous voyons un ponton. Puis un autre ponton. Je pose les bagages au pied d’un cocotier (il y en a deux cent). La vue sur le large est ouverte, impossible de manquer le bateau. Au large file un bimoteur. Surgi derrière l’isthme qui barre l’horizon au sud, il disparaît au Nord.
- Ils vont envoyer une chaloupe.
Assis, nous guettons les bruits de moteur. Le temps passe, rien ne vient. Au bout d’une demi-heure, Gala va voir la Chinoise. Qui l’embrasse, se lamente, fait excuse: elle a oublié de commander le bateau.
- Que je comprenne, dis-je à Gala qui me rapporte l’incident, elle nous envoie attendre sous une cocotier un bateau qu’elle pas commandé.
Demi-tour: je charge les bagages, nous marchons dans le sable. La Chinoise propose de nous héberger gratuitement. J’annonce avoir déjà payé la réservation à Mak (ce qui n’est qu’à moitié à vrai). Elle nous remboursera. J’énonce un prix. Elle change d’avis. Elle va trouver une solution (en Thaïlande, il y a toujours une solution). La voici qui appelle sur son portable, une fois, deux fois, plusieurs fois tout en courant au milieu des cocotiers. Puis elle désigne une jeep. Je jette nos bagages sur le pont. Elle tourne le contact. Batterie à plat. Autre coup de fil. Arrive une clé. Nous prenons une autre jeep. Le menton sur le volant, comme si elle passait son permis, la Chinoise nous amène sur le pont de la rivière Klong Chao. Nous descendons sur un embarcadère flottant. Des gosses pêchent. Un bateau rapide brasse la mangrove. Erreur, il est plein de Japonais serrés dans des gilets de sauvetage orange. Retour à la jeep. La Chinoise conduit en scrutant le large. Elle pile sur les freins, saute à terre, fait de grands gestes en direction d’un bateau qui laisse une traînée d’écume à la sortie de la baie. Elle crie. De la jeep, c’est tout juste si je l’entends. Gala, s’avance sur la grève et crie plus fort. Soudain, la Chinoise muette: “non, non, ce n’est pas ça!” Elle attrape le sac étanche de Gala, montre un ponton au loin, court sur un chemin de planches. A l’horizon, pas plus gros qu’un flocon, un bateau blanc. La Chinoise cavale. Avec mes deux sacs pleins, impossible de suivre. D’ailleurs, le chemin a autant de tenue qu’un clavier de piano désarticulé. Deux touristes effrayés lèvent leurs chaises longues pour faire pont-levis. La Chinoise fait des signes, donne de l’argent, des billets, des noms. Le mousse nous embarque, le capitaine affole les moteurs, nous bondissons à travers la baie. Au couple qui se bouche les oreilles une rangée derrière la nôtre, je demande:
- Où va se bateau?
- A Chang.
Une heure plus tard, la côte est en vue.
- Regarde, dis-je à Gala, c’est Trat, c’est le débarcadère de Laem Ngop!
Gala désigne le couple:
- Mais alors, et eux?
- Chut! On va voir!
Sans poser la moindre question, sûr de son affaire, le couple sort. Nous sautons dans un autre bateau, de bois celui-ci, et repartons d’où nous sommes venus en espérant qu’à mi-distance il mettra le cap sur Mak.