Mois : octobre 2015

205

Hôtel Andrea Riv­o­li dans le marais. Le récep­tion­niste me tend la clef de la cham­bre 205.
- Cela ne vous fait rien de mon­ter à pied?
L’as­censeur est en panne? Non, il n’y a pas d’as­censeur. Au deux­ième étage, des portes sans numéros. Quelque chose m’échappe: si les portes n’é­taient pas numérotées, le récep­tion­niste l’au­rait sig­nalé. Je redescends.
- Oh, oui, j’ou­bli­ais! Il n’y a pas de numéros! C’est la cham­bre bleue.
Au deux­ième, il y a qua­tre portes bleues. Une bleue turquoise, une bleue ciel, une bleue bouteille. Je les essaie tour à tour. Tant qu’à faire, j’es­saie la porte orange. Puis je décou­vre une cinquième porte: bleu out­remer — la cham­bre 205.

Saint-Germain

Dans les rues de Saint-Ger­main, autre­fois pop­u­laires, français­es, authen­tiques, grec­ques, déboulent des groupes de touristes à la démarche molle. Ils avan­cent l’œil rivé sur le para­pluie ouvert du guide. Quand celui-ci mar­que une pause et branche son micro, toutes ses phras­es com­men­cent par “autre­fois”.

Phrase

Paris, quarti­er du marais, il est 11heures ce same­di. Un homme paie son café:
- Allez, bon, à toute-à-l’heure!
Je ne saurais dire comme cette phrase me rassure.

Effet pervers

De nos jours, le pos­si­ble exerce une influ­ence per­verse sur le réel. En lit­téra­ture, lorsqu’un écrivain de fic­tion anticipe,mil se trou­ve des mil­liers de lecteurs pour con­sid­ér­er que les événe­ments décrits ont eu lieu. Ils les assim­i­lent au réel et fondent sur eux.

Manosque 4

Dimanche soir, les écrivains ont quit­té l’hô­tel du Sud, Gala et moi buvons au bar quand arrivent quar­ante voyageurs chenus. Ils pren­nent l’apéri­tif de bien­v­enue puis gag­nent la salle à manger. Peu après, une dame sur­git. Elle est en sueur. Son mari s’est effon­dré.
- Il faut appel­er une ambu­lance, il est au sol, il souf­fle à peine. Aus­si, il n’a rien mangé de la journée! La récep­tion­niste saisit le com­biné, la patronne dégage l’en­trée, la femme de l’ac­ci­den­té tourne, par­le, explique. Gala se lève:
 — Je suis infir­mière. Il faut le couch­er et pren­dre le pouls. Vous avez pris le pouls?
La dame ne sait pas. Gala s’en occupe. Puis, un grand moment de silence. L’homme n’est pas mort, l’am­bu­lance n’ar­rive pas, la récep­tion­niste ne sait plus que faire de ses mains. La dame sem­ble ravie d’être, pour une fois, le cen­tre d’intérêt.

Compétences

Le philosophe inter­roge l’u­ni­versel, l’artiste le par­ti­c­uli­er, le poli­tique le général. Le par­ti­c­uli­er comme l’u­ni­versel ont rap­port à la vérité, le général n’a rap­port qu’au pouvoir.

Postier

Au guichet de la poste, le pré­posé me remet deux plis et du même mou­ve­ment ramène à soi ma carte d’i­den­tité. Une recom­mandée, un acte de pour­suite.
- Vous acceptez ou vous faites oppo­si­tion?
Il fait allu­sion à la pour­suite. L’E­tat me réclame Fr. 4000.-, j’en ai payé cinq fois plus la veille. Je con­sid­ère le posti­er, réfléchis à sa ques­tion: “accepter” ou “faire oppo­si­tion”.
- Je ne com­prends pas, que faut-faire.
Effrayé, le posti­er recule. Il croit que je lui demande un avis de morale.
- Ah, moi, je ne sais pas, je ne peux pas savoir, fait-il en agi­tant les mains.

Avenir

Qu’on me dise dans quel pays entré illé­gale­ment, je pour­rai pré­ten­dre au gîte, au cou­vert, à de l’ar­gent de poche et à des femmes sans con­trepar­tie. Ce pays deviendrait vite la patrie des écrivains, des artistes et des philosophes.

Filles

C. à qui je rap­pelle que nous nous ver­rons le lende­main à la soirée d’an­niver­saire de B:
- Il n’y aura que des Secu­ri­tas, des flics et des com­bat­tants. J’ai dit à Eva d’éviter les bas.

Vauderens

Aux envi­rons de Vaud­erens, sur la ligne de chemin de fer Fri­bourg-Lau­sanne, un éle­vage de poules en plein air. L’en­c­los haute­ment gril­lagé occupe toute la colline. A deux endroits ont été dis­posés des abris. Cer­tains les utilisent. D’autres jamais. D’autres tou­jours. Celles-là font par­tie de la police du poulet.