Dans son journal de dépression intitulé Route de nuit, épisodes cliniques, Clément Rosset évoque le rôle-piège des images hypnagogiques: censées faciliter la transition de l’état de veille à l’état de sommeil, elles bloquent le processus et le renvoient à la veille. Remarque à double titre intéressante, car je fais souvent cette expérience. Dans une champ neutre se détache un objet dont les évolutions me fascinent. Un autre lui succède. Le processus est normal, l’enchaînement de ces figurations ouvre sur le sommeil. Mais soudain, la fascination tombe, je prends acte de la présence de l’objet qui de ce fait devient quasi réel et la conscience critique reprend le dessus, ce qui me ramène à la veille. Pour expliquer ce changement brutal de la nature de la chose on pourrait le comparer à cette situation de la vie réelle (si elle n’était impossible): je m’approche d’un chat, au moment où je vais le caresser, c’est un chien. Dans les années 1990, je me suis passionné pour les images hypnagogiques. Après des soirées de saoulerie, j’avais en effet, dans la phase de somnolence qui précédait le réveil la capacité de fixer ces objets détachés sur un fond neutre et de les faire évoluer en leur imprimant ma volonté. De là, je m’étais convaincu que si je pouvais influencer sur la nature de l’objet et avoir rapport à lui, je pourrai commettre des actions qui, dans la vie réelle, étaient interdites sous peine de sanction morale. J’y arrivais quelque fois, même si , assez vite, la chaîne de la représentation se brisait m’obligeant à réengager le processus ab initio.