Tatlin

Tatlin réap­pa­raît pour un soir à Fri­bourg. Elle envoie un mes­sage: peux-tu m’ap­porter le sac que j’ai lais­sé chez toi il y a six mois? Je demande sa couleur. Il est vert. Que con­tient-il? Elle ne se sou­vient pas. Des livres? Elle me donne ren­dez-vous à 22heures pour boire un mahat­tan tea. J’aver­tis: en soirée je ne bois pas de thé. Je la trou­ve au pre­mier étage du bar le XX accom­pa­g­né d’un neu­ro­logue bul­gare chaussé de bottes mil­i­taires. Tan­dis que la con­ver­sa­tion s’en­gage sur la qual­ité des bottes des dif­férentes armées (je mon­tre ma paire por­tu­gaise), Tatlin demande au bar­man de me détailler la recette du mahat­tan tea:
- Du gin, du rhum, du whisky, du schnaps, un peu de men­the fraîche.
- Et le thé?
- Pas de thé.
Bolt nous rejoint. Il est en tenue de gar­di­en: pan­talons bleus, vestes à épaulettes, torche de com­bat, bâton tech­nique. Il s’ex­cuse d’ar­riv­er en retard: il a eu de la peine à fer­mer l’une des portes du cen­tre com­mer­cial d’Avry dont il est respon­s­able.
- Et Paris? fais-je à Tatlin.
- Le désor­dre.
- Je te l’avais bien dit.
- Du moins a‑t-elle fait des pro­grès en français, remar­que Bolt.
- C’est vrai, l’an­née dernière tu n’o­sais pas par­ler. Nous par­lions tou­jours en anglais.
- Et main­tenant, que comptes-tu faire?
- Ah, je ne t’ai pas dit? J’ai envoyé des let­tres d’embauche à Bris­bane, Abu-Dhabi, New-York, Sin­ga­pore et dans une trentaine d’autres villes. En fin de compte, j’ai été engagé comme pro­fesseur d’anglais à Logroño.
- J’en reviens.
- Bien?
- C’est l’Es­pagne! L’Es­pagne c’est for­mi­da­ble! L’Es­pagne!
- Et pourquoi pas pro­fesseur d’alle­mand?
- Il leur fal­lait une pro­fesseur d’anglais. D’ailleurs, le type qui a fait l’en­tre­tien était français, il ne par­lait pas un traître mot d’anglais. Peu importe, pour autant que je puisse con­tin­uer de tra­vailler sur la créa­tion d’un nou­veau lan­gage des mains.
Et le Bul­gare se met à nous expli­quer en quoi le pro­jet de Tatlin est, du point de vue neu­rologique,  révolutionnaire.