Subilus

Après dix jours d’un mal de ven­tre lanci­nant, je me décide à appel­er le médecin. Il ne peut me recevoir. Son assis­tante me ren­voie aux médecins de garde. J’ex­plique les douleurs par télé­phone. Le cab­i­net est à Vil­lars-sur-Glâne.
- Com­ment ça, vous venez à vélo? Vous pou­vez donc marcher?
Rue du Bugnon, les cloches son­nent 11heures lorsque je trou­ve l’adresse: c’est l’heure du ren­dez-vous. J’ai for­cé pour être ponctuel et trou­ve la salle d’at­tente pleine. Con­ver­sa­tion habituelles, en sour­dine: “… j’ai cru revivre”, “si elle con­tin­ue comme ça”, “le pau­vre n’a pas de chance”. Je lis Mon sui­cide de Hen­ri Roor­da. Pam­phlet pour la vie et con­tre la fausse morale qui s’achève par le sui­cide réel de l’au­teur — un tes­ta­ment lit­téraire. Une doc­toresse viet­nami­enne me prie de la suiv­re. Je lui dis mon régime:
- Café le matin, bière le soir.
- Il faut arrêter ça. Depuis quinze ans dites-vous?
- Non, depuis l’âge de quinze ans.
- Mais c’est ter­ri­ble! Et trop tard.
- Pour quoi faire?
- Tout. Vous êtes dépen­dant. Désor­mais ce n’est plus une affaire de volon­té.
Elle me fait couch­er et me tâte le ven­tre.
- Vous avez chaud.
- J’ai tou­jours chaud.
- Vous buvez de l’eau?
- L’après-midi. Trois litres.
- Non?
- Si.
Elle m’en­voie faire une prise de sang puis une radi­ogra­phie.
De retour dans la salle d’at­tente, je finis le livre de Roor­da qui se ter­mine par cette phrase: “Il fau­dra que je prenne des pré­cau­tions pour que la déto­na­tion ne reten­tisse pas trop fort dans le cœur d’un être sen­si­ble”.
La porte s’ou­vre. La doc­toresse me fait signe. Moment inquié­tant ente tous. Elle va peut-être m’an­non­cer qu’à la fin de la semaine je serai mort.
- Vous avez un subilus.
- Un?
- Un subilus.
- C’est grave?
- Ce n’est pas grave. Vous êtes en pleine forme.
- Et que faut-il faire?
- Rien, ne faites rien.