Bar des fous

Il y a une dizaine d’an­nées, dans le bar des fous de Seyssel, Gala et moi buvions en com­pag­nie d’ivrognes et d’une fille qui cajo­lait un rat. L’un des types, mai­gre, flot­tant à l’in­térieur de son bleu de tra­vail, les cheveux en petites boucles, sans âge, n’avait que cette activ­ité: boire. De sorte que la semaine suiv­ante, lorsque je passe devant le bar, je le trou­ve à la même place et le salue.
- On se con­naît? demande-t-il.
Je lui explique que nous avons passé la soirée ensem­ble au zinc.
- … le soir?
- Oui.
- C’est bien pos­si­ble, mais à par­tir d’une cer­taine heure, je ne vois plus rien.
Et pour­tant, pen­dant les quinze mois que j’ai passé à Seyssel, chaque matin, à l’aube, lorsque j’emmenais les enfants en voiture à l’é­cole, je l’aperce­vais marchant sur le bord de la nationale, à un endroit de traf­ic intense, pour ren­tr­er chez lui après avoir passé la nuit au bar.