Chaleurs

Gazon sec, jau­ni. Le vent lève dans les arbres. Le ther­momètre du bureau indique 32 degrés. Les Andalous ont quit­té l’ap­parte­ment mer­cre­di. Depuis ce matin, j’ai rem­pli huit fois le tam­bour de la machine à laver. Au télé­phone ma mère me dit: “tu n’es pas tombé sur des gens com­muns. Pour leur repren­dre les clefs, je leur ai don­né ren­dez-vous à la sor­tie d’au­toroute de Vaulruz. J’ai pronon­cé “vo-ru”, puis j’ai épelé. Ils étaient à l’heure. Fig­ure-toi que l’un d’en­tre eux est pro­fesseur de philoso­phie! Il a admiré ta bib­lio­thèque…“
J’é­tends le linge et sur­veille le ciel. L’or­age men­ace.
Hier, j’ai dû sor­tir. J’ai mis des lunettes sur le nez, je me suis fau­filé entre les haies, j’ai emprun­té le sen­tier du Guintzet qui mène aux ter­rain de sport, j’ai gag­né la rue du Jura par les escaliers de l’Ecole de con­duite, je suis descen­du dans le souter­rain, je suis entré dans la Migros, j’ai rem­pli mon sac à dos avec le sen­ti­ment de me servir au ray­on d’une phar­ma­cie. Cela devrait per­me­t­tre de tenir une semaine sans quit­ter l’ap­parte­ment. A la caisse, un client dis­ait:
- Et Manuel?
- Manuel? Répondait la cais­sière en glis­sant les arti­cles sur le scan­ner.
- Manuel.
- Quel Manuel? Manuel?
- Oui, Manuel.
- Il est en vacances.
- Au Por­tu­gal?
- Au Por­tu­gal.
- En vacances.
- Oui, en vacances… Et toi?
- Oui.
- Tu es ren­tré?
- Je viens de ren­tr­er.
- Du Por­tu­gal?
- Du Por­tu­gal.
J’ai pen­sé: “au fond, par­ler, c’est assez sim­ple”. J’ai acheté un Coca-Cola et j’ai fait ce que je ne fais jamais: je l’ai bu dans la rue. Main­tenant, assis à ma table de tra­vail, je regarde le ciel. Le ciel puis le gazon jau­ni et sec. Des cor­beaux noirs volent dans le ciel noir. Une neu­vième machine tourne en bas. Des draps et des houss­es. S’il pleut, je ne saurai pas où les met­tre à séch­er. J’ai occupé tous les meubles de l’ap­parte­ment. J’ai éten­du les draps précé­dents sur la table du salon, les armoires, les chais­es, le vélo d’in­térieur… Si quelqu’un entre, il se croira dans un garde-meu­ble. S’il demande “tu démé­nages?’ ”, je lui répondrai :
- En novem­bre.
Et tou­jours sans men­tir:
- Je ne sais pas où je vais aller.