Décor

Assez de cette ville de Fri­bourg. Les Préalpes bernois­es, la tour du Bour­guil­lon et les toits poin­tus du Guintzet évo­quent un décor à l’a­ban­don. Les pas­sants arpen­tent le pre­mier tiers du boule­vard de Pérolles et la rue de Romont qui sont les artères com­merçantes. Ailleurs, règne une pénible immo­bil­ité. Les per­son­nes que l’on croise dans les quartiers sec­ondaires vaque­nt à des occu­pa­tions con­trôlées, l’air gen­til mais dis­tant. Tem­péra­ment curieux du Fri­bour­geois: il ne se mélange pas — comme si l’én­ergie man­quait. Une rou­tine puis­sante impose ses rythmes. Pas de débor­de­ment. Mais peut-être cela n’a-t-il rien à voir avec Fri­bourg? Peut-être s’ag­it-il d’une nou­velle donne, pro­pre à toutes les villes, uni­verselle : chaque citadin étant désor­mais con­damné à vivre dans l’or­dre des jours et des heures, et pour men­er à bien cette tâche haras­sante, vivant con­cen­tré. D’où cette sen­sa­tion d’a­ban­don, de décor. De ma table de tra­vail, je regarde les bâti­ments. Ils se rem­plis­sent le matin, ils se vident le soir. Bâti­ments de fonc­tion. Et les rues: elles se char­gent de voitures dans une direc­tion le matin, dans la direc­tion opposée le soir. Les flux pas­sants sont réglés par l’hor­loge. Entre temps, c’est tout juste si le plus auda­cieux, resté dehors, ose s’ex­primer à voix haute. Con­sid­érant cet état, une envie de pren­dre les jambes à mon cou. Le lende­main, je suis dans l’avion pour Madrid avec Monfrère.