Vingt minutes après avoir quitté à pied le chalet de Monfrère, celui-ci remarque qu’il a oublié le saucisson-lentilles sur le feu. Il appelle le voisin. Hélas, le voisin est en plaine. Monfrère part en courant, tandis qu’Aplo et moi poursuivons à travers la forêt, en direction du col de Soladier. Sur la montée, un groupe de cyclistes nous double. Nous le rattrapons près d’un alpage, sur une partie de route qu’à emporté un glissement de terrain. Un ouvrier manœuvre une pelle mécanique. Nous rejoignons un nouvelle fois le groupe contre un pente trouée d’ornières qui oblige les cyclistes à porter les VTT. Sur le col, je prend le groupe en photos. Tandis que les cyclistes descendent vers Les Avants, je désigne la croix sur le sommet de la Dent de Jaman. Aplo pense que je plaisante. Nous grimpons un sentier vertigineux. Spectacle épatant: le Léman apparaît autour de Vevey, Chillon et Villeneuve; bientôt, il est entier; visible du Bouveret à Genève. Cependant, à quelques cinquante mètres de la Croix, nous manquons une bifurcation et sommes rabattus à flanc de la montagne. Nous longeons la vallée. Aplo souhaite faire demi-tour, mais je fais valoir qu’il y a en parallèle un chemin d’alpage. Je propose de le rejoindre. Une heure plus tard, le chemin est toujours là, en contrebas, et la pente qui nous en sépare, trop raide pour que l’on s’y risque. De plus, elle est hérissée de protège-avalanches. Nous aboutissons ainsi au col, où il me faut demander le départ de ce chemin que nous n’avons pas cessé de suivre et qui, maintenant que nous l’avons rejoint, a disparu. Nous le trouvons derrière une maison aux volets fermés, barré d’un portail, jonché d’éboulis et d’arbres fendus par la foudre. En deux heures, d’un pas martial, nous regagnons Ondallaz et le chalet de Monfrère où, alors que nous mangeons en terrasse le plat de lentilles, une buse pique sur l’une des poules qui picore dans l’herbe, l’enlève et la dépose à la cime d’une sapin de trente mètres. Peu après, elle chute. Nous la cherchons au pied de l’arbre, dans le ruisseau et dans les narcisses. Nous finissons nos plats, quand le voisin paraîrt dans le jardin la poule dans les bras:
- Je l’ai trouvée devant ma porte. Elle creusait de deux pattes, comme si elle cherchait à s’enterrer…