“Les moralistes des XVIè et XVIIè, écrit Vaneigem, règnent sur une resserre de banalité, mais tant est vif leur soin de le dissimuler qu’ils élèvent alentour un véritable palais de stuc et de spéculation. Un palais idéal abrite et emprisonne l’expérience vécue. De là une force de conviction et de sincérité que le ton sublime et la fiction de “l’homme universel” raniment, mais d’un perpétuel souffle d’angoisse. L’analyste s’efforce d’échapper par la profondeur essentielle à la sclérose graduelle de l’existence; et plus il s’abstrait de lui-même en s’exprimant selon l’imagination dominante de son siècle (le mirage féodal où s’unissent indissolublement Dieu, le pouvoir royal et le monde), plus sa lucidité photographie la face cachée de la vie, plus elle “invente” la quotidienneté.
Joubert, Sainte-Beuve, la Rochefoucauld régnant sur une resserre de banalités? En architectes baroques? Ni l’un ni l’autre. La dialectique l’emporte ici sur la raison. Et le jargon du potache sur la réflexion. Puis vient cette phrase épatante, “Un palais idéal abrite et emprisonne l’expérience vécue”, mais toute universelle et qui semble avoir été glissée arbitrairement à cet endroit du texte. Ensuite, le moraliste échapperait par la profondeur essentielle à la banalité de l’existence, soit; mais en quoi cette profondeur essentielle recoupe-t-elle des valeurs séculaires, sociologiques, matérielles? Quant à inventer le quotidien à partir des analyses des moralistes, je doute qu’on ne trouve jamais un exemple pour étayer cette hypothèse. De sorte que l’esprit ludique et le brio littéraire l’emportent ici sur le sens transformant ce passage du Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, comme bien d’autres passages du texte, en instrument de cette idéologie de la critique absolue que les situationnistes mettent en place pour contrer le spectacle; spectacle qui recourt régulièrement aux mêmes procédés, quoique pour des raisons autres.