Pédiatrie

Soirée en cui­sine avec Gala. Les meilleures. Les plus risquées. Trois sortes de bière refroidis­sent dans la neige sur le bal­con. L’heure passe. A par­tir de minu­it, nous sor­tons la vod­ka. Puis nous allons au lit, ne dor­mons pas. Vient le jour. Je monte dans un train pour Genève. C’est le lun­di. Mon texte Ecri­t­ure. Bière. Com­bat. est en cours depuis deux semaines. Je pressens la chute. Or, ven­dre­di je prends l’avion pour l’Asie. Inutil d’e­spér­er retrou­ver l’al­lant après une inter­rup­tion d’un mois. Il me faut donc finir. J’ai prévu de le faire entre lun­di et mar­di. Ce que je n’avais pas prévu, c’est la soirée. Et me voici dans le train, au milieu des neiges. Paysage blanc, épais. Je cherche la suite, ou plutôt, l’amorce: ain­si va ce texte dont l’ac­tion dérisoire a lieu un dimanche d’août en Castille, il est tiré par une idée et pour autant que je ne la perde pas des yeux, peut emprunter tosu les chemins. Seule­ment, la fatigue du corps et l’e­spri brouil­lé font bar­rage. A Palézieux, me dis-je. Jusque là, je regarde par la fenêtre. Mais voici Lau­sann et je n’ai encore rien fait. Quelques notes, des direc­tions, pour se ras­sur­er. Je les utilis­erai le lende­main. Arrivé à Genève, je récupère mon vélo sus­pendu con­tre une paroi du bureau et vais à l’hôpi­tal. Bâti­ment de la Mater­nité puis Pédi­a­trie. Je vis­ite les ascenseurs. Les per­son­nel me con­sid­ère avec éton­nement. Dans un ascenseur, on entre à un étage pour ressor­tir à une autre. J’en­tre, passe la main sur les cadres d’af­fichage fixés aux cloi­sons et ressors. Mais com­ment savoir com­bi­en il y a de cab­ines d’as­censeurs dans le bâti­ment. Et com­ment savoir où com­mence et finit un bâti­ment? Je déam­bule dans des couloirs, emprunte un couloir en sous-sol, passe des sec­tions, logopédie, nour­ris­sons, urgences, tra­verse une passerelle. Les bâti­ments sont dou­ble­ment reliés, par la voie souter­raine et aéri­enne. A la récep­tion, des guichets. Des dames der­rière les vit­res. Alignés der­rière un cor­don, des adultes avec leurs enfants. Le même ordre que dans le reste de la société (il me revient que, la nuit où Olof­so accouchait, le Por­tu­gais qui sur­veil­lait l’en­trée de la Mater­nité me dis­ait: “votre femme n’en­tr­era que si vous déposez Fr. 20’000.-!). Je prends mon tour. Rien ne m’émeut plus qu’un enfant malade. Et je suis là, avec mon car­net et mon prob­lème d’as­censeurs. L’homme qui me précède, chauve, tra­pu, demande Nico­las. La dame exige le nom de famille. Il ne sait pas. Il donne une expli­ca­tion. La dame se penche. Elle a le nez con­tre la vit­re de sépa­ra­tion. D’après son accent, l’homme est espag­nol, mais il est de ces immi­grés de pre­mière gén­er­a­tion qui pra­ti­quaient le dialecte et n’ont jamais pu maîtris­er le français. Main­tenant, l’homme décrit Nico­las. Le dame soupire, tape une recherche sur son clavier.
- Le seul Nico­las que j’aie, c’est un bébé, il est aux urgences…
- Non, pas petit!
La dame s’in­ter­rompt pour deman­der ce que je veux. Cette affaire d’as­censeurs la soulage. Elle explique la dif­férence entre les cab­ines jaunes, réservées au per­son­nel et les cab­ines rouges qui sont des monte-charge.
Je reprends la direc­tion des couloirs, passe devant la cafétéria où déje­unent cinquante infir­mières, monte par l’escalier, passe une crèche, tra­verse un lab­o­ra­toire, descends au stock revient dans les étages. Je sors d’une cab­ine lorsque j’aperçois l’homme qui cherche Nico­las. Il est en con­ver­sa­tion avec un mem­bre du per­son­nel vêtu d’un cos­tume som­bre por­tant une éti­quette sur le torse.
- Tiens, mon­sieur Mor­eiras, com­ment allez-vous? Ça va mieux?
- Non pas… A six heures, j’ai sur le chantier et j’ai tombé ici, dans la tête, il tourne. Depuis, avant, ça va mieux, mais main­tenant, pas.
Et l’autre, avec bien­veil­lance, lui pose une ques­tion où fig­ure le mot “chimio­thérapie”.