Promenade médiévale

Jour splen­dide. Une lumière vive et fraîche inonde le parc blanchi de neige. Des mil­liers de per­son­nes, point noirs sur la lande, avan­cent à petits pas, évo­quant un paysage d’hiv­er de Brueghel. Une eau d’en­cre coule dans le canal à bonne vitesse, ajoutant à l’ef­fet de sur­réel. Je vais seul, Gala clouée au lit par l’abus de cham­pagne. Sous la Chi­nesichen Turm, les tables sont occupées par des familles qui man­gent des plats fumants, boivent des godets de Glück­wein ou, pour les plus entêtés (dont je fais volon­tiers par­tie), des bocks d’un litre de bière. Plus loin, près du Monopteros, ce petit dôme à colon­nade inspiré des pein­tres roman­tiques et con­stru­it sur une butte, les enfants se lugent. Le plus amu­sant est de voir les efforts qu’ils déploient pour remon­ter la pente, pati­nant sur le sol dur, lut­tant sans tech­nique aucune pour attein­dre le som­met. Et au bas de cette piste, les adultes sta­tion­nent, riant avec entrain. Con­tre les arbres, on voit des bottes de paille, ce qui ajoute une touche médié­vale à l’am­biance. Avant de plonger dans le pas­sage souter­rain qui amène à la Chan­cel­lerie et à la Hof­garten, j’aperçois une asi­a­tique en jambes d’une beauté scan­daleuse. En retrait des promeneurs, sur la pelouse, elle ramasse de la neige et la jette au-dessus de sa tête afin que son ami la pho­togra­phie dans cette pos­ture féérique. Puis, rejoignant l’église des Théatins, j’en­tends vocif­ér­er. La foule marche, lente­ment, sans soucis, ce qui ne m’aide pas à dis­tinguer la prove­nance de cette voxs qui crie:
- Que l’hu­man­ité périsse!
Et, voy­ant, que la foule demeure indif­férente:
- Que l’hu­man­ité toute entière périsse!
Là encore, n’ob­tenant aucune réac­tion, le femme — que je viens de repér­er près d’une colonne de mar­bre — une femme sans âge, aux traits idiots, saisit son sachet de super­marché, s’en va, revient, ajuste son sachet de super­marché, hésite, finit, dirait-on, par con­venir que cette human­ité béate qui s’é­coule entre les allées enneigées du parc ne répon­dra pas à la men­ace et alors, s’en va pour de bon, vers la bouche du métro. Enfin, dernière ren­con­tre de la journée, sur un square, un homme bal­aie la neige d’un échiquier, tan­dis que son parte­naire de jeu, assis sur la malle aux pièces, boit un café, l’air dubitatif.