Cadeaux

Au cen­tre com­mer­cial, deux dames embal­lent de papi­er cadeau les achats des clients sor­tis de bou­tiques répar­ties sur trois étages. Ceux-ci déposent devant elles des objets de toute forme: tablettes, nappes, bou­gies, bijoux.
J’ai fait l’ex­er­ci­ce il y a vingt ans, à Ver­banne, dans un mag­a­sin de luxe. Une clien­tèle for­tunée achetait des objets coû­teux. L’emballage devient alors un méti­er d’art. Pra­ti­quer sans soin la pose du papi­er serait un signe de mépris. Les clients ont payé, le tiroir-caisse est ren­tré et ce ser­vice gra­tu­it qui clôt la trans­ac­tion, l’emballage, a valeur de sym­bole. Le client en a‑t-il pour son argent? Lui seul est juge. Seule­ment voilà, la pra­tique de l’emballage cadeau exige une tech­nique. Plus que cela, un tal­ent de spon­tanéité pro­pre­ment archi­tec­tur­al. Lorsque le client pousse sur le comp­toir une boîte de choco­lats, tout va bien. Lorsqu’il y ajoute un bri­quet et un sty­lo, que faire?
Je lève les yeux:
- Séparé?
Le client explique que le des­ti­nataire est le même.
Dès lors com­mence un compte à rebours. Il s’ag­it de trou­ver la meilleure con­fig­u­ra­tion avant même de pren­dre les objets en main car de celle-ci dépend la longueur du papi­er que l’on prélèvera sur le rouleau. Ensuite on dis­pose l’ob­jet le plus ras­sur­ant en par­tie basse. Ici, la boîte de choco­lats. A not­er que celle-ci doit être déposée à l’en­vers pour que le des­ti­nataire du cadeau puisse la décou­vrir à l’en­droit lorsqu’il déchir­era la papi­er. Et c’est là que le cauchemar com­mence: théorique­ment, il faudrait dis­pos­er sur le papi­er les deux objets plus petits l’un con­tre l’autre puis la boîte de choco­lats par-dessus. De plus, dans ce moment, le client qui jouit con­sciem­ment de sa puis­sance (il a payé et cha­cun de vos gestes lui est dû) ne quitte pas votre activ­ité du regard.
Fort de ces quelques sou­venirs, je prends donc mon tour dans la file qui mène à la table où tra­vail­lent les deux dames de l’emballage. L’homme qui me précède tient sous le bras un ours en peluche de grande taille, la cliente dont c’est le tour dépose sur la table une théière. Une puni­tion cette théière! Pour­tant les employées demeurent impas­si­ble. Elles sai­sis­sent ce qu’on leur apporte, et calme­ment, le font dis­paraître sous une couche de papi­er. Qu’elles aient résolu le prob­lème de l’emballage me paraît éton­nant. je cherche le secret. Il y en a un puisque, de fait, telles que je les vois, elles ne craig­nent rien, ne s’af­fo­lent pas, ne suent pas. Ajou­tons que leurs embal­lages sont par­faits.
Lorsqu’au bout de dix min­utes d’at­tente, je décide d’a­ban­don­ner mon tour, je com­prends: elles pren­nent leur temps. Chaque objet est con­sid­éré comme un défi et elles résol­vent les dif­fi­cultés avec méth­ode. Mais cette solu­tion ne m’au­rait été d’au­cune aide. Si elles peu­vent agir ain­si, c’est parce qu’elles ne relèvent d’au­cune bou­tique. Les client ont payé et se sont achem­inés. Ici, à cette table, ce qui leur est fourni est un ser­vice gra­tu­it: pro­test­er serait donc mal venu.