Avion

Fortes tur­bu­lences sur Saint-Jacques de Com­postelle. L’avion sec­oue et tangue. Les pas­sagers s’ex­cla­ment. Ils rient. Cela n’a rien d’a­mu­sant.  Mais la notion de réal­ité a per­du son sens. Notre époque est au jeu. Mêmes acci­dents, même morts, mais aupar­a­vant, la vie est un jeu. Les mains crispées sur les accoudoirs, Mon­frère demande si on voit le sol. Je me penche. Les lumières de la ville vien­nent d’ap­pa­raître.
- L’avion descend.
Le cap­i­taine a  don­né la tem­péra­ture. Douze degrés. Bien que nous soyons sor­tis des nuages les trous d’air se mul­ti­plient.  Des nuées filent con­tre le hublot bien­tôt rem­placées par de la pluie. Nous con­tin­uons de descen­dre; l’ap­pareil est tou­jours aus­si insta­ble. Lorsque le cap­i­taine coupe les réac­teurs pour pos­er l’avion, celui-ci est de tra­vers. Cha­cun le sent. Les pas­sagers qui riaient se taisent. J’ai en mémoire cette image d’un film ama­teur mis en ligne l’an dernier: un gros por­teur va touch­er le sol quand il est bal­ayé par un rafale de vent. Le pneu droite touche, lâche une fumée, l’aile bas­cule, le cap­i­taine relance les moteurs, évite de justesse l’écrase­ment. C’est donc notre tour. A quelques mètres du tar­mac notre appareil con­tin­ue de tir­er à hue et à dia. Il se pose, sem­ble bat­tre des ailes, freine brusque­ment. Silence, puis la voix du garçon de cab­ine, posée et ras­sur­ante. Impos­si­ble de dire s’il a eu peur. On con­naît les con­signes: trich­er, sourire jusqu’à la mort.