A Saint-Jacques avec Monfrère et les trois petits-enfants pour l’anniversaire des 70 ans de maman. Nous avons loué une camionnette neuf places et tournons sur le périphérique. Une averse tombe, les passants s’abritent. En 1991, lorsque nous arrivions dans la ville après avoir parcouru le chemin à vélo depuis Bayonne, il faisait le même temps. Nous étions sales, fatigués et contents. A la cathédrale le bedeau a inscrit nos noms dans le registre des arrivants, puis le curé nous a emmené dans la sacristie pour apposer dans notre livret du pèlerin le dernier tampon d’étape. Un couple de Français venait lui aussi d’atteindre Saint-Jacques. La femme ne cessait de répéter “que c’était dur, si dur, qu’elle avait failli abandonner”. Le curé se désintéressait. Nous ne disions rien, ne pensions rien. Nous n’avions qu’une hâte, entrer dans un bar et rire. Nous avons traversé par la cathédrale pour gagner les quartiers bas. L’officiant annonçait devant les fidèles notre arrivée: Fabien Friederich, de Suiza; Alexandre Friederich, tambien de Suiza. Ce jour-là, cinq autres pèlerins étaient arrivés. Aujourd’hui nous sortons d’un hôtel de luxe et la ville me paraît plus agréable que dans mon souvenir. D’ailleurs la pluie a cessé. Les enfants vont devant: ils jouent, n’ont pas conscience d’être en Galice, en Espagne, ailleurs. Nous leurs désignons les façades, les chapelles, les colombages, les fontaines. J’explique la barque échouée de l’apôtre et le sens du pèlerinage. Il y a deux ans Monfrère l’a entrepris dans l’autre sens, à pied, sur sa partie centrale: il en est revenu dégoûté. Un chemin pris d’assaut, une hostellerie comble, une compétition entre marcheurs pour obtenir les meilleures tables dans les restaurants d’étape. En 1991, nous dormions seuls dans les auberges et une fois au moins, faute de ravitaillement, une voisine nous a fait asseoir chez elle avant de confectionner une omelette.
Après l’installation à l’hôtel, nous allons à la cathédrale. Elle est pleine. Des échafaudages cachent une partie du transept. Assis sur les bancs, les marcheurs remuent les pieds. Ils tiennent leur cannes, gardent sur les épaules leurs gabardines de pasteur. Devant le cloître d’un chœur illuminé, un Asiatique chante et prie. A l’intérieur, une femme de ménage dépoussière l’hôtel, indifférente. Un son aigu retentit dans l’église que j’attribue à un haut-parleur défaillant. Ce sont des notes d’orgue. Les fidèles attendent la messe. Elle ne vient pas. Nous restons dix minutes, descendons dans la crypte, circulons dans la foule. Plus tard, habillés pour cette soirée d’anniversaire, nous sautons dans un taxi afin de rejoindre le no 16 de la rúa de San Pedro. Je donne l’adresse au chauffeur et lui indique le nom du restaurant: O dezaseis.
- Vous connaissez?
- Oui, c’est au numéro 16. O Dezaseis veut dire: “au numéro seize”.