Emma

Après la remise du prix à l’université, une fille prime­sautière, Emma. Elle me sourit, regarde ailleurs. Son image reste. Peut-être sourit-elle encore, s’adres­sant à d’autres vis­ages? Quand nous quit­tons les bâti­ments pour la une ter­rasse de la rue de Romont, elle nous accom­pa­gne. Mon voisin m’ac­ca­pare etje ne trou­ve pas l’oc­ca­sion de lui par­ler. Je ne sais rompre d’au­cune façon un dia­logue, ni à la manière brusque des cyniques ni à la manière pro­fes­sion­nelle des oppor­tunistes. Tan­dis que j’é­coute mon voisin — garçon bril­lant, sym­pa­thique — il me sou­vient que j’ai déjà remar­qué cette Emma. Au restau­rant de Mis­éri­corde. Main­tenant je détaille son vis­age et je n’ai plus de doute. La fois précé­dente, elle avait sourit pareille­ment. A moins qu’elle ne soit en toutes cir­con­stances sourire, chose rare qui expli­querait que je me sou­vi­enne d’elle? Enfin je me lève. Il me faut par­tir. Autour de la table, une jeune écrivain qui souhaite me revoir. Je prends son numéro. Gêné — voilà qui ne me serait pas venu à l’e­sprit — un de mes cama­rades me fait remar­quer que tout en notant son numéro je tourne le dos à son ami. Pour faire bonne fig­ure, je prends égale­ment le numéro de l’a­mi. Emma observe, les yeux épatés, l’air tran­quille. Je n’ai aucune rai­son de lui deman­der son numéro.
- Je peux aus­si avoir le tien?
Mon cama­rade fait remar­quer que la démarche est cav­al­ière.
- Je ne con­nais pas grand monde à Fri­bourg.
- Tu cherch­es un pont d’an­crage, dit alors Emma.
Expres­sion que j’en­tends et qui — je suis debout, les autres sont assis, je note, les autres par­lent — me demeure totale­ment incom­préhen­si­ble. Suis-je trou­blé? Oui, prob­a­ble­ment. Et cela ne me gêne pas. Mais comme il se doit, le lende­main, j’y reviens, je repasse la scène, me perd en conjectures.