Lagunas de Ruidera

Gala dit, “je n’aime que sept per­son­nes (j’e­spère en faire par­tie)”. Puis elle se reprend:
- Depuis quelques jours, huit. Comme tu sais, moi, que ce soit un jeune, un clochard, le pape  ou une per­son­ne de ren­con­tre, ça n’a pas d’im­por­tance, mon amour est au-delà de ces con­tin­gences, je sens un ami­tié pour une per­son­ne parce que son car­ac­tère me séduit, me frappe, parce qu’elle est autre ou parce qu’elle est elle-même, bref, il faut que nous nous recon­nais­sions. Et là, j’ai décou­vert Rose.
- Qui est-ce?
- Une petite fille de trois ans. La fille du fils de la pre­mière femme de mon frère. Je vis chez elle.
- Qui elle?
- Rose.
- Tu n’est pas chez toi?
- Non, non.
Et de me racon­ter ses dia­logues avec Rose. Ce qui me rap­pelle mon voy­age aux Lagu­nas de Ruidera en 1986. L. venait de me quit­ter. J’en étais malade. Et  je m’in­stalle en Espagne pour l’été, chez ces amis de mes par­ents. Chaleur éprou­vante, désert de pierre, collines de Castille, mai­son de chaux blanche et sys­tème lacus­tre avec en col­liers de mod­estes rési­dences et un bar. Pen­dant l’an­née j’ai com­mencé l’u­ni­ver­sité et ren­con­tr­er toutes ces théories trop grandes pour moi et qui font chavir­er mon esprit. Mais pour cette même rai­son j’ai une demande de con­ver­sa­tion au-dessus de la moyenne: je veux tout démêler, com­pren­dre, raison­ner. L’Es­pagne a un peu­ple doué de génie mais la capac­ité d’ab­strac­tion ne fait pas par­tie de ses dons: elle l’in­dif­fère. On y par­le pour le plaisir et non par amour de la dis­pute intel­lectuelle. Telle est donc ma sit­u­a­tion for­cée, au bord d’une piscine, dans un champ de pier­res tombées que brûle le soleil, avec un cha­grin d’amour à digér­er et sans inter­locu­teur. Je des­sine. Toute la journée, un cray­on à la main, je des­sine. Puis au bout de quelques jours appa­raît un petite fille. De mémoire je dirais 6 ans. Casque blond, bouille ronde, physique gra­cieux et volon­taire. Et un mir­a­cle se pro­duit: elle est réfléchie, par­le avec dis­tinc­tion, n’énonce que des choses d’en­fant, des choses sur­na­turelles. Et tous les jours, je passe deux a trois heures avec elle: nous dessi­nons et nous discutons.