Déménagement 2

Mon père m’an­nonce l’ar­rivée du camion pour qua­torze heures. Autour de midi, il écrit: il y en a pour trois jours. Puis il pose des ques­tions sur toutes sorte d’ob­jets aber­rants dont ma liste ne fait aucune men­tion. Seuze heures, dix-sept heures. Gala est sor­tie. Elle ne veut pas crois­er mon père. En fin d’après-midi, je renonce à la boxe, met de la musique, reste vig­i­lant der­rière le bureau à sur­veiller la rue où je m’at­tends à voir sur­gir la camion de Hon­grie d’un instant à l’autre. Une heure passe. Je me cherche des occu­pa­tions. Deux heures passent. La nuit tombe. J’ap­pelle Gala.
- Je bois de la bière et je mange des escar­gots.
- Il sont encore en France.
- Tu devrai venir?
- Tu as enten­du?
- Com­ment?
De retour, Gala se bar­ri­cade dans sa cham­bre.
- J’at­tends cinquante car­tons en plus des meubles, il faut que j’aie accès à la cham­bre! Où veux-tu que je les mette?
- Débrouillez-vous! Per­son­ne n’en­tre dans ma cham­bre.
Au pas­sage, je remar­que que la cham­bre est dev­enue sa cham­bre. A vingt-et-une heures, ma belle-mère appelle:
- Ils auront faim, tu peux pré­par­er quelque chose?
Je vais acheter du pain, trou­ve un saucis­son, pré­pare un plateau de fro­mage. A vingt-deux heures trente, les trois gail­lards, soix­ante ans à eux trois, s’at­tablent. Je décap­sule des Bud­war tan­dis que mon père leur fait une leçon sur le maniement du fusil d’as­saut. Puis une fois requin­qués ils débâchent le camion. Mar­di, le quarti­er est silen­cieux, les oiseaux se sont tus. Les gail­lards s’in­ter­pel­lent d’une bout à l’autre de la pro­priété, déposent dans l’herbe canapé, table de ping-pong, chais­es, tronçon­neuse, som­miers, bureaux et por­tent vail­lam­ment à tra­vers les étages des meubles qui sont des­tinés à Budapest, des bib­lio­thèques qui devaient rester au mag­a­sin à Lau­sanne, mais pour l’essen­tiel, rem­plis­sent l’ap­parte­ment des livres et bibelots qui devaient être rap­a­triés de France. Ceci pen­dant plusieurs heures. Autour de minu­it, je les prie de faire moins fort. Mais com­ment réus­sir cette prouesse lorsqu’il faut tir­er des malles de cent kilos sur le pont du camion, san­gler des hauts-par­leurs de salle de ciné­ma que mon père a décidé d’embarquer en Hon­grie, con­solid­er un vais­se­li­er fin­landais? Entre temps des ado­les­cents pleins de rire se sont instal­lés dans le préau d’é­cole voisin et font la fête. A une heure du matin, mon père me demande de leur faire des lits.
- Ils vont dormir quelques heures avant de repren­dre la route. Ils ont pris de l’essence en France et la machine leur a piqué 30 euros sur leur carte de crédit. Pour­tant je leur avais expliqué: pas de carte, jamais! Du liq­uide! Tu leurs met juste des mate­las au sol…
J’or­gan­ise le salon, puis regarde par la fenêtre. Les car­tons for­ment une bar­rière le long du chemin de dalles, mais je ne vois plus les Hon­grois. Je mets du café à cuire et descend: ils ont assis  au milieu de la route fument et con­sul­tent leurs télé­phones porta­bles. Douze aller-retour plus tard, j’ai mon­té la moitié des car­tons et j’ai les bras dur comme le bois. Mon père et sa femme qui ont com­mencé le tra­vail il y a deux jours s’ex­cusent. Je les accom­pa­gne à leur Mer­cedes 1980 qui con­tient un attaché-case à code 1980 et ma panoplie de lumi­naires en papi­er, fil cousu et verre — ils ren­trent à Lau­sanne. Vers trois heures appa­rais­sent les deux buf­fets qui étaient cen­sés restés au dépôt. Ils rem­plis­sent la cave. A trois heures et demi, je vais me couch­er. Eux con­tin­u­ent. Le lende­main, quand je me lève, les Hon­grois ont disparus.