Avoir un ami, être son ami, c’est aussi supporter ses reproches. L’amitié ne perdure qu’à ce prix. Pour cela, il faut faire preuve de courage et de force. La lente érosion que subissent les relations d’amitié ne fait donc pas mystère. Débiles que nous sommes, le plus souvent nous confondons l’amitié et le partage raisonné de nos égoïsmes. Ce faisant, à la moindre remarque blessante, nous nous retirons du jeu. Nous le pouvons parce que, comme tout ce qui autrefois était naturel, la solidarité est aujourd’hui artificielle, un luxe. A cet égard, l’expérience vécu avec l’écrivain O.T. m’a servie de leçon. Un après-midi je croise sa femme en ville. Habituellement taciturne, elle ne touche pas terre. C’est le bonheur, m’annonce-t-elle, j’ai rencontrée un homme, je vais me marier! Je fais toutes sortes d’hypothèses sur son état. Or, je me trompe: elle persiste.
- Et qu’en dit O.T.?
- Oh, il est d’accord! Je ne vivrai plsu avec lui, mais je continuerai de l’entretenir.
Le lendemain, je suis l’invité du couple. O.T. est effondré, livide. Il fume cigarette sur cigarette. Sa femme danse plus qu’elle ne marche, joue avec leur enfant, mène trois conversations de front. Lorsque m’est donnée l’occasion de me retirer avec O.T. il m’explique avec une mauvaies foi évidente:
- Elle rejoint son amant après le repas, puis revient se coucher à mes côtés. C’est mieux pour le gosse.
Les jours suivants, je lui adresse une lettre où je lui déclare qu’être entretenu par une femme qui est mariée à un autre homme est une forme de prostitution. Qu’à la rigueur on peut vouloir vivre ainsi, mais que se laisser imposer pareille situation relève du suicide moral. On devine ce qu’il advint de notre amitié.
Qu’on ne juge pas que je joue les purs. J’ai eu des revers, et douloureux, que j’affrontais parfois bien mal. Ainsi avec Mara. La nuit où quittant le lit, elle me jeta à la figure:
- Tu me dégoûtes!
Au moral, va, on s’emploie à se grandir, on se rachète, mais au physique! Et le ton employé indiquait assez que la sentence était définitive. Or, j’éprouvais pour cette femme une passion dévorante. La fin de la relation me trouva à la fois hagard, furieux et désemparé. Ce que je ne pouvais imaginer, c’est que mon dépit durerait plus de dix ans.