Certains vitupèrent. François Châtelet, Pierre Drachline, Richard Millet ne seraient que rancœur. Retranchés dans les marges d’une société soumise à des convictions infantiles, ils crachent du venin. Confortable position quand l’anathème s’adosse sur une conviction aussi générale que vague. Car enfin, ceux qui vitupèrent contre ces auteurs coupables de prêter langue à l’hérésie s’abstiennent d’évoquer les sujets qu’ils condamnent. Ils n’en veulent tout simplement pas. Ce qui nous amène à un constat malheureux: cette condamnation qui rejette a priori ces auteurs dans le camp du mal relève de l’idéologie. Et l’idéologie ne discute pas. Elle ne bataille ni ne nuance. Elle est. Et par nature, doit rejeter tout ce qui menace son hégémonie. Où l’affaire se complique, c’est que si les auteurs nommés se rejoignent peu ou prou sur la détestation que leur inspire notre société (il n’est que de noter la concordance de leurs titres: Penser et vivre comme des porcs, Pour en finir avec l’espèce humaine, L’être-boeuf), du moins sont-ils assez vaillants pour prendre parole en nom propre, tandis que leurs détracteurs aboient en meute. Ils le font d’ailleurs avec d’autant plus de force qu’ils se sentent soutenus et ne manquent pas de hérauts. Je me mets un instant du côté d’un Drachline: la veulerie des faux-pensants qui s’attaquent à son brûlot au nom de la morale (non pas une morale, mais bien la morale) lui confirment ce qu’il cherchait à établir en optant pour ton pamphlétaire, savoir que la liberté est gangrenée et que l’issue pourrait être fatale. Autre aspect de l’affaire, la grande collectivité des pourfendeurs de nos auteurs en révolte se contente d’annoner quand il faudrait dire le motif de leur rejet. Et pour cause: ils ont déjà vaincus et contrôlent le discours. Il n’est que d’écouter les naïfs : pas un qui ne cautionne leur eau tiède, pas un qui ne s’offusque lorsqu’on émet un jugement critique dérogeant a l’idéologie totalisante du politiquement correct. Les voici qui baissent les yeux et louchent de peur que quelqu’un n’ait entendu les propos blasphématoires et ne l’accuse de les partager! Lorsqu’il y avait encore un débat, les Albert Carco, Guy Debord ou Dominique De Roux ne faisaient pas rire. Lebovici fut assassiné. Les communistes Nizan ou Sartre agaçaient mais pouvaient servir la dialectique du pouvoir, pas les outranciers, les littéraires, les ascètes en solitude. Et ceux qui vitupéraient avaient du coffre: ils s’exposaient, ils croisaient le fer, y laissaient des plumes (Raymond Aron par exemple). Aujourd’hui, c’est une armée d’ectoplasmes incapables de faire des phrases seuls et qui marchent au coude à coude sans se retourner. Ainsi vectorisés, ils prétendent soumettre à loi des hommes qui, au-delà des torts et des raisons, défendent l’intelligence critique.