Chez les Arnolfini, sur le plateau de Mossel. Le garagiste qui tenait son atelier près du Château d’Oron a à bâti sa cabane sur une parcelle entourée d’arbustes. Prés, forêts de sapins au Nord et une vue dégagée sur les Alpes. Nous sommes à deux kilomètres de la ferme familiale.
- Oh, aujourd’hui, ce n’est pas terrible, mais par soleil on voit le Mont-Blanc.
La dame a les cheveux gris ou violets.
- Tu veux leur montrer la maison, François?
Frère demeure en retrait, je flatte le chien, nous entrons. La construction est brinquebalante. Cela me rappelle le taudis organisé de l’ancien propriétaire de Lhôpital: trois ans d’ouvrage acharné pour y voir clair. Ici, les matériaux ne viennent pas de la décharge, mais l’ensemble n’a pas meilleure gueule: morceaux de toile, verrins de guinguois, planchers flottants. Je m’aventure dans un couloir. Il mène dans une salle à manger composée d’un banc qui sert également de coffre à duvets et d’une table n bois tendre.
- Nous l’avions commandée au menuisier de Semsales.
Frère qui est venu plus tôt dans la journée m’a averti: tu peux tout brûler. Mais le couple est touchant. C’est un musée des nostalgies que nous visitons. Aux murs, des photos.
- Là c’est le cousin Henri. Et là, le beau-frère. Et elle, là, c’était ma soeur. Il sont tous décédés.
Cependant, nous continuons de cheminer par de couloirs, nous poussons des portes, passons sous un toit de plastique ondulé.
- J’ai mis ça parce que ça soufflait fort à l’époque l’hiver. Maintenant, je sais pas ce qu’il y a . La neige tombe à peine. Et là, c’est une sorte de salle où je bricole.
Il me semble que nous sommes déjà passés par cette salle. Mais non, voici la chambre à coucher. Deux lits simples entourés de parois de lambris. La dame réapparaît.
- Tu leur a dis pour l’oncle?
- Ah, non. Ecoutez ça! Il faut que je te raconte quelque chose.
Arnolfini tutoie Frère à qui il loue un local ailleurs dans le village, il me vouvoie.
- Regardez ça…
Une ardoise pour noter les point aux cartes. Trois initiales sont notées à la craie.
- Voilà, on a joué pour la dernière fois il y a un mois et j’ai rien effacé. Ce “J” en haut, c’est pour l’oncle Jean et quand on a fini, j’ai posé l’ardoise ici comme je fais toujours.
Arnolfini pose l’ardoise au-dessus du banc de la salle à manger et recule d’un, deux, trois pas. Il est maintenant debout à nos côtés sur le seuil.
- L’oncle est resté deux semaines à l’hôpital de Cugy. Il est mort la semaine dernière. Et Jocelyne et moi on est pas revenu dans la maison depuis le soir où on a joué aux cartes. Eh bien hier, j’ai trouvé l’ardoise posée ici, tu vois où j’ai mon pied, tu crois que c’est possible toi? Elle était à exactement quatre mètres du banc, tournée du côté où il y a l’initiale de l’oncle.
Nous sortons dans les près. Arnolfini nous parle d’un droit d’eau. Le puits serait creusé à six mètres de profondeur.
- Je suis descendu dedans quand j’étais petit et j’ai mis mon bras jusqu’ici, on sent l’eau qui passe sur une pierre brillante et dure.
- Et il est toujours accessible ce puits?
- Oh, il faut croire, mais il est sous la maison du voisin maintenant.
Entre temps, nous avons fait le tour de la propriété par l’extérieur. Quelques tilleuls, une vielle caravane de l’armée datant de la deuxième guerre, un fruitier.
- Et là bas, c’est à qui?
- La maison? Ils vienennt de la vendre. Quatre cent cinquante mille. Et c’est encore le laitier qui a acheté. Il achète tout : les champs, les forêts, les maisons.
- Eh bien, ça rapporte le lait! Qu’est ce qu’il compte faire de tout ça?
La dame qui a entendu:
- Il faut voir qu’il a six enfants, et que tous travaillent. Pour ça, ils savent bosser. Le plus petit a pas sept ans, je l’ai jamais vu se reposer.
Alors que nous sommes sur le départ, j’essaie de gagner du temps:
- Ne sortez pas tout de suite votre panneau de mise en vente, nous sommes très intéressés.
- Quand même, je vais le mettre un peu, ça fait batailler. Mais si Pascal passe, on l’enlèvera.
- Celui-là, il nous surveille!