Derniers beaux jours

La pre­mière planche de l’al­bum de Tintin Les 7 boules de cristal mon­tre le reporter instal­lé dans une Miche­line à des­ti­na­tion de Moulin­sart. Son voisin à cha­peau mel­on, penché sur le jour­nal annonçant l’ex­pédi­tion des archéo­logues pilleurs de momie en Amérique du Sud, déclare:
-  Cette his­toire, ça fini­ra mal, vous ver­rez…
Et Tintin:
- Qu’est-ce qui fini­ra mal?
- Eh bien, cette his­toire…
Dia­logue qui a l’a­van­tage d’in­staller immé­di­ate­ment au cen­tre du dis­posi­tif une ten­sion nar­ra­tive: dès lors, page après page, le lecteur se pré­pare à la cat­a­stro­phe. Mais c’est bien la fic­tion qui singe ici le réel. Et sans trac­er des par­al­lèles faciles qui voulant établir la con­cor­dance minu­tieuse entre la réal­ité et son dou­ble ne feraient qu’in­stiller le doute, un titre tel que celui don­né par Julien Green à son jour­nal 1939–1945, Derniers beaux jours, évoque sans détour ce cli­mat de ten­sion qui précède les érup­tions de l’his­toire et, mécanique­ment, se traduit dans toutes les activ­ités de l’homme: sa parole, ses gestes, ses expres­sions, ses quêtes, ses amours. Un exem­ple notoire m’en fut don­né hier comme je cotôyais pen­dant une quart d’heure, dans une pièce petite et close, une Africain et un Arabe dont je ques­tion­nais en silence la mine basse et le regard en voie d’in­téri­or­i­sa­tion. L’un d’eux lança bien­tôt la con­ver­sa­tion sur les résul­tats des élec­tions européennes. Des banal­ités furent échangées qui n’ap­parte­naient ni à l’un ni à l’autre mais aux fab­ri­cants d’opin­ions qui rem­plis­sent les colonnes de la presse. Quoiqu’il en soit, comme Tintin s’abreuvant naïve­ment dans cette Miche­line aux nou­velles don­nées par le quo­ti­di­en du jour, les deux inter­locu­teurs mar­quèrent soudain un silence, puis l’un dit:
- Vous savez, ça va explos­er
Et l’autre.
- Vous croyez?
- Oui, oui.
Alors le pre­mier.
- Oui, je sais.