Six heures

Cinq heures d’un mau­vais som­meil, le réveil sonne, je descends sur les bor­ds du canal et longe le trot­toir dans la nuit. Sous les pieds, toutes sortes d’ob­sta­cles. Lorsque je soupçonne un chien, j’é­claire ma torche, et en effet, en voici un qui sur­saute et détale. Les baraques de la rue sont clos­es, aucune voiture. Une lune rousse et finis­sante. S. a dit, tu ver­ras la croix. Je marche vite et ne doute pas que je la ver­rai. Trompé par nos habi­tudes européennes, j’imag­ine un cru­ci­fix en dur avec piédestal. Par la même occa­sion, j’ou­blie la dis­tance que m’a dite S. Tout droit, sur la même rive. Au bout d’un moment, j’al­lume ma torche et dirige le fais­ceau au loin. Sa puis­sance est telle que les Cam­bodgiens qui dor­ment dans les hamacs se lèvent. J’éteins et pro­gresse les yeux rivés sur les façades d’im­meu­ble. Voici une croix peinte sur un pan­neau. Elle est verte. Le texte est en Cam­bodgien. Plutôt une phar­ma­cie. Or, c’est l’église catholique que je cherche. S. y donne ren­dez-vous à quelques amis,ce dimanche. Son mes­sage dis­ait, “once again for those who are inter­est­ed, I will organ­ise a walk in the jun­gle”. Je pour­rais renon­cer, mais je me suis levé. Je me suis levé et c’é­tait pénible. J’ai la bouche sèche, le cerveau chaviré, l’estom­ac plein de bière, je ne renonce pas. Mais la nuit s’é­pais­sit. Com­ment cela est-il pos­si­ble? Il n’y a aucun éclairage pub­lic. Eh bien les maisons ont dis­parues, rem­placées par une épaisse forêt. Il est six heures. Puis six heures trois. Si je con­tin­ue, je vais ren­tr­er bre­douille. Sous un bananier j’avise un homme. Il est en pyja­ma, il attise un feu. Je demande l’église catholique. Il ne répond pas. Peut-être dort-il? Non, sa femme est à son côté. Tous deux organ­isent quelque chose au sol. Le début de la journée, le début de la vie. Je fais un signe de croix. Comme cela ne suf­fit pas, je croise les doigts à la façon des fans de musique satanique. Il démarre sa moto, je monte en croupe, nous roulons. Il se gare au pied d’un pan­neau. Je lis: Catholique church of Siem Reap. For­mi­da­ble! Je lui tends un bil­let. Me voici seul. Six heures cinq, brusque­ment un cou­ple sort d’une ruelle latérale. Lui porte un keffieh, un short. Un sac rem­pli d’eau. Un GPS pend de son épaule. Une fille l’ac­com­pa­gne. Il me demande si je par­le anglais. Alors il se tourne vers la fille:
- What did you say was your name?
Puis il fixe le noir.
- Un tuk-tuk devrait venir nous pren­dre.
- Mais pourquoi si tôt?
- Tôt, c’est bien, dit S.