A l’inverse, je n’ai été heurté que trois fois par le comportement des touristes. Une fois dans un restaurant à Siem Reap où une tablée d’Américains s’agitait grossièrement sous l’effet de l’excitation. Ajoutons, en toute innocence, c’est-à-dire sans animosité. Les Américains parlent fort et remuent pour se sentir exister, trait de caractère propre aux colons qu’ils furent et aux occupants qu’ils sont devenus d’un territoire vaste et vide. Les autres fois de la part d’Israéliens. Leur manque d’assurance est tel qu’ils transforment tout geste et parole en un signe d’agressivité. Le cas de l’Israélien qui explique avec morgue à un vendeur abasourdi que son prix est trop élevé et que jamais il ne le payera alors que ce dernier n’a encore articulé aucun prix et que l’Israélien n’a nullement l’intention de se porter acquéreur est connu, l’autre moins; c’est l’après-midi, il fait chaud, des étrangers de différents pays, certains en famille, boivent ou grignotent sur une grande terrasse à couvert. Arrive un jeune couple. Lui arrache la carte des mains du serveur, plutôt que de la consulter il demande ce qu’il y a, plutôt que d’écouter la réponse du serveur dit ce qu’il veut, puis ayant dit, précise qu’il veut que ce soit bien cuisiné, bien servi, le tout sur le ton du caporal dans l’exercice de la donnée d’ordres. Vient le tour de la compagne dont on attendrait plus de retenue. Eh non, elle aussi beugle. Le serveur, un transsexuel épais qui navigue entre les tables avec nonchalance, va répéter la commande en cuisine. Alors, face à face, comme des soldats qui préparent une attaque dans l’ombre d’un char d’assaut, l’homme et la femme entament une conversation. Ils ouvrent grand la bouche, les deux à la fois, et crient. De l’environnement, ils n’ont aucune notion ou alors strictement physique: il y a des humains à quelques mètres, ici et là, mais pour l’instant ils ne présentent pas de danger. Plus tard, lorsque les plats sont apportés, chaque geste sera l’occasion de renverser quelque chose, la salière, le saucier, la bouteille. Une telle brutalité est une sorte d’échec de l’esprit. Elle n’est pas rassurante en ce qui concerne l’avenir de la société israélienne. Survivre n’est pas tout.