Hier, tenu de défendre devant des représentants de l’Instruction publique un projet d’argent lié à l’entreprise. J’étais averti: l’un des interlocuteur m’attendait de pied ferme. Le voici, énergumène de vert vêtu, portant un maillot sur lequel figure une citation de Nicolas Bouvier, cheveux longs de hippie sur le retour, barbe étudiée de deux jours, petites lunettes, me coupant la parole avant que j’ai eu le temps de la prendre:
- … non, pas du tout!
Et le reste de l’échange, à l’avenant. Désireux me faire savoir ce qu’il sait, de me montrer que j’ignore ce que je crois savoir, prenant note, lorsqu’il veut bien m’écouter (ce qu’il prouve qu’il n’écoute pas), de ce qu’il aura à m’opposer dès que viendra son tour de parler… il apporte ses réponses à un problème qui ne saurait être posé sinon dans ses termes.
Figure étrange de fonctionnaire. Ou alors figure héroïque? Parangon? De ceux qui font du bien public une religion faute d’en posséder une autre?
Afin de détendre l’atmosphère — et pour dire mieux, de le détendre lui — alors que nous prenons place, je fais une remarque sur son T‑shirt (pas sur son accoutrement, n’est-ce pas, ce pyjama).
- Amusant, cette citation de Bouvier. Il se trouve que je lis avec son fils la semaine prochaine.
- Je le connais bien.
Par la suite, chaque fois qu’une nom surgira dans la conversation, il dira:
- Je le connais bien.
Surprenant que personne ne le connaisse, lui.
En somme, personnage pathétique, qui par ailleurs doit bien faire son travail, celui d’enseigner, si j’ai compris, mais dont l’agacement, pour ne pas dire la frustration, indique un statut absolument moyen.
Une de ses collègues, dame généreuse, en fin de séance, me demande si je n’ai pas été trop secoué. Je me garde de lui dire que, fuyant autant qu’il est possible le monde du travail, je dois à l’occasion, pour garantir cet avantage, me taire. Dont acte. Aux énergumènes je laisse le soin de gérer avec hargne leur carré de compétences.