Incidents

Au cen­tre de Bris­tol, dans le quarti­er com­merçant, en quelques min­utes, scènes de rues qui soulig­nent l’équili­bre pré­caire du monde: une dame chute de tout son long. Elle se relève hébétée, elle est à genoux, les pié­tons s’ap­prochent. Mais il y a un prob­lème. Aucun n’a assisté à la chute et donc nul ne sait s’il s’ag­it de cela. Du coup les pié­tons hési­tent. Preuve s’il en faut que les gens se méfient: est-ce une clocharde, s’ag­it-il d’un can­u­lar? Est-il nor­mal que la dame se relève si lente­ment? Et sans rien dire?
Plus loin, comme j’at­tends devant un super­marché “Alla for One Pound”, un goé­land se pose sur le toit d’une voiture rouge. Une bête blanche, énorme, pourvue d’un bec aigu. Sur le toit du véhicule, elle se balade la tête haute, l’ œil rond et atten­tif. Jamais je n’ai vu pareil volatil si proche. Mais ce qui me gêne, c’est que per­son­ne ne sem­ble remar­quer le goé­land. Tout à leurs achats de Noël, les pié­tons défi­lent, font les vit­rines, entrent et sor­tent des mag­a­sins. Or voilà que la jeune fille assise au volant de la voiture baisse sa vit­re pour m’in­ter­peller.
- Is there a bird on my car?
- A huge one, you should come out and take a look, it’s inter­est­ing!
Puis je m’aperçois de mon ridicule: il doit s’a­gir à Bris­tol, ville por­tu­aire, d’un inci­dent courant, tout au plus ennuyeux, et je l’en­gage à s’y intéress­er. 
Lorsque la jeune femme sort, il est trop tard, le Goé­land s’est envolé pour aller se juch­er sur un réver­bère. Alors plusieurs pié­tons le sig­na­lent, comme si aupar­a­vant, trop proche, il était improb­a­ble qu’il fut réel.
Au même moment, une place de sta­tion­nement se libère der­rière le véhicule de la jeune fille et une voiture de sport con­duite par des Turques en bon­net se posi­tionne pour la pren­dre. Or une femme âgée passe, à quelques cen­timètres du pare-choc. Le Turc donne un coup de volant, ori­ente sa voiture. La femme esquive. Il braque, la femme fait un entrechat. Il enfonce la marche-arrière et roule. La femme, fuit. Il accélère, la femme accélère, le pare-chocs la men­ace, elle trotte dans le pare-chocs, en rythme, à la façon d’un péon de cor­ri­da et saute sur le trot­toir, essouf­flée, aba­sour­die. Le Turc, qui n’a rien vu, renonce à la place et s’en va en trombe.