Friederich

Pre­mière nuit rue Jean-Gam­bach 13. Mus­cles bandés, dos raide, mau­vaise fatigue. D’ailleurs je ne dors pas. A trois heures, je suis assis dans le lit, je me promène dans les pièces. A la médiathèque, j’ai emprun­té deux DVDs. Un doc­u­men­taire sur les vach­es et un film de Peter Liechti sur les per­for­mances de Roman Sign­er.
Le cou­ple de locataire qui vivait dans l’ap­parte­ment est par­ti en mat­inée. Son nom, les Burns. Je me ren­dors, me réveille. Marche un peu, me recouche.
La salle de lec­tures du monastère est vaste, silen­cieuse, mal éclairée. Nos pupitres sont ordon­nés devant des stalles. Les accoudoirs sont pom­melés, le bois sculp­té de motifs.
Arrive le frère. Mains croisées sur la poitrine, capu­chon bas, vis­age clair, il s’a­vance à pas mesurés dans les couloirs, jette un œil aux travaux des étu­di­ants. J’éprou­ve à l’idée de le saluer une grande sat­is­fac­tion, mais au moment où il se campe devant mon pupitre ne sais plus si je dois lui don­ner du “père” ou du “frère”. Assuré que per­son­ne ne l’en­tend, il se penche vers moi et chu­chote:
- Vous ne pou­vez pas porter un tel habit en ce lieu.
Je m’aperçois en effet que je porte le T‑shirt noir bar­ré du nom Friederich en car­ac­tères goth­iques avec sa tête de bouc et son cru­ci­fix ren­ver­sé. A l’o­rig­ine de cet impair, mes insom­nies: comme je me lève et me couche à tout heure, je me trompe sur le choix de habits et nég­lige les règles de la bien­séance. Sous les yeux du frère, je retire le T‑shirt et con­sid­ère mon nom en blanc sur fond noir: pour la pre­mière fois, je remar­que que les trois extrémités du cru­ci­fix inver­sé évo­quent un sexe et deux couilles. Ce sont des Burnes.
Hon­teux, je quitte la salle de lec­ture. Une fois tra­ver­sé le cloître, j’at­teins la salle de ciné­ma. A l’écran, le générique de fin. L’é­clairage revient. Le frère pro­jec­tion­niste me félicite.
- Le scé­nario est excel­lent.
- Je vais vous dire, je n’ai jamais écrit ce film.
Le frère est per­plexe. Il rem­bobine le film. Je ne peux que con­stater: mon nom fig­ure en toutes let­tres dans le générique de début. Friederich, en let­tres blanch­es sur fond noir.
- Oui, mais c’est un erreur, Je vous assure que ce n’est pas mon texte.
- D’après vous, aui aurait pu met­tre votre nom au générique?
-… Liechti et Sign­er? Pour me piéger?