Mois : octobre 2013

Pizza

Retour du con­cert de Suzanne Vega au Bad Bonn, nous apprenons que le cou­ple d’I­tal­iens a signé le con­trat de reprise de l’ap­parte­ment du Criblet; c’est mar­di, jour de débar­ras des car­tons dans le zone com­merçante, je me sers sur le tas.
Le matin, je démonte les bib­lio­thèques, place la vis­serie dans des sachets, range les doc­u­ments dans les car­tons, glisse nos habits dans des sacs poubelle.
En fin de journée, Gala m’en­voie chercher une piz­za. Jamais je n’ai pen­sé qu’une piz­za pou­vait con­stituer un repas. De même pour le sand­wich ou cet affreux chaus­son à la viande, le kepab. Qu’un ouvri­er, un homme de bureau, un étu­di­ant qui dînent debout, à la va-vite, entre deux horaires de tra­vail, con­somme ce genre de choses, rien de plus com­préhen­si­ble. La per­ver­sion com­mence lorsqu’on monte des restau­rants pour ven­dre ce type de nour­ri­t­ure.
Ain­si je refuse: je ne vais pas chercher de piz­za. Mieux vaut s’ab­stenir de manger. C’est d’ailleurs ma poli­tique depuis l’ado­les­cence. Les cama­rades du Belvédère puis de l’Ecole de com­merce de Lau­sanne organ­i­saient des repas de classe à La Non­na, ce restau­rant de la rue de l’Ale. Par principe, je me con­tentais de boire des canettes.
Or Gala a envelop­pé la vais­selle, net­toyé les armoires, grat­té les plaques de cuis­son. Elle veut manger. Je cède. J’i­rais. Elle mangera, je boirai.
Rue Saint-Pierre, le Vapi­ano est un restau­rant grande sur­face où les clients man­gent en vit­rine juchés sur des tabourets. La porte coulis­sante donne sur comp­toir d’hô­tel. Une employée en uni­forme tra­verse la salle.
- Bien­v­enue! Pâtes ou piz­za?
Elle me tend une carte mag­né­tique.
- Pour les piz­zas, vous passez com­mande au fond à gauche. Pour les bois­sons, c’est en face.
Les tables sont occupées par des clients qui pian­otent sur leurs télé­phones porta­bles. Un jeune homme mange des écou­teurs dans les oreilles.
J’at­teins le comp­toir. Deux filles con­sul­tent la carte. Elles sont devant moi, il y a donc un ordre: je prends la file.
Marghari­ta: a deli­cious mix of toma­to, mush­rooms, peper­roni and moz­zarel­la. Vesu­vio: the per­fect choice… Et ain­si de suite.
Les filles com­man­dent, pren­nent place sur des tabourets, sor­tent leur télé­phones.
Je m’a­vance. Un arabe au ser­vice, Mohammed. Son col­lègue, un Français, lui enseigne à pronon­cer le nom des plats.
- Moz­zarel­la Mohammed, pas meusrel­la!
Puis c’est mon tour. Le coup de men­ton du Français sig­ni­fie: alors, que prenez-vous?
- Une Qua­tre saisons à l’emporter.
- La 4?
- Par­don?
- La numéro 4?
Après con­sul­ta­tion du menu, je con­firme.
- Passez votre carte mag­né­tique sur la borne… Mer­ci!
Le scan­ner inté­gré dans le comp­toir émet un sig­nal. Mohammed réag­it.
- C’est par­ti. Une 4!
Une employée sud-améri­caine s’ex­cuse, je suis dans son pas­sage. Je fais un pas de côté. Elle passe der­rière le comp­toir, verse dans un bac des morceaux de tomate con­tenus dans un autre bac.
- Mon­sieur, vous oubliez votre buzzer!
Je sai­sis l’or­di­na­teur de poche que me tend Mohammed .
- Il vibr­era lorsque votre com­mande sera prête.
- Gardez-le, j’at­tends ici.
- C’est inter­dit, il faut s’asseoir.
Je recule, croise les bras, soupire. Le Français, plein d’au­torité:
- Mon­sieur, s’il vous plaît? Vous ne pou­vez pas rester là!
Au bout de quelques min­utes Mohammed me tend un car­ton — la piz­za numéro 4 — et me reprend l’or­di­na­teur des mains.
Je me dirige vers le comp­toir d’hô­tel. La cais­sière me demande ma carte: elle scanne la carte, le prix s’af­fiche, elle répète le prix, je paie, je sors dans la rue avec mon carton.

Voyous

Ils perçurent très vite la nature du prob­lème, et ils s’in­ter­rogèrent. Lorsqu’on les enfer­ma, ils plaidèrent l’ex­péri­ence. Leurs actes et pen­sées visaient, dirent-ils, a trou­ver des lim­ites, comme font les enfants, non pas à met­tre en péril la vérité. Ils furent rangés par­mi les voy­ous. Ils com­prirent trop tard que l’in­ten­tion est sans valeur, ou plutôt, qu’au moment de faire jus­tice, le pou­voir s’en tient à l’in­ten­tion qui sert ses desseins.

Club V

C’est un peu comme dans les Sims, remar­que Aplo.

Rôle

Cha­cun joue un rôle qui lui vaut de se deman­der s’il ne ferait pas mieux de se retourn­er, mais lorsqu’il se retourne, il ne s’aperçoit plus et craig­nant de se per­dre s’il cher­chait à se rejoin­dre, il se résigne à tenir son rôle.

Carapace

Les tortues ont un rap­port ennuyé à leur carapace.

Apparence

Boire pour dis­paraître ou faire du sport pour paraître, c’est la même fuite hors de l’é­tat de nature.

Intensité

Ce qui a été vécu inten­sé­ment doit être regret­té si l’on veut qu’il sur­vive sous la forme d’un sou­venir intense.

Brigitte

Au squatt de Prévost-Mar­tin, après la sec­onde évac­u­a­tion, nous avions repris pos­ses­sion d’une pièce de gre­nier à laque­lle on accé­dait en s’ar­c­que­boutant con­tre les cloi­sons d’une cage d’escalier effon­drée et un soir que je reve­nais de Chez Brigitte avec une fille, comme elle se plaig­nait du froid, je l’en­roulais dans un vieux tapis après avoir enfer­mé ses pieds dans un sac. La nuit, elle dut aller aux toi­lettes . Je l’en­tendis tomber à tra­vers la cage d’escalier. Le matin, je trou­vais ces affaires éparpil­lées à mon étage. Le soir, elle était à nou­veau Chez Brigitte.

Club IV

Buf­fet de petit-déje­uner. Nour­ri­t­ure en abon­dance. Or cha­cun se com­porte comme s’il devait se voir refuser sa part. Expli­ca­tion prin­ci­pale: cha­cun aimerait s’ap­pro­prier cette abon­dance. Entre autres expli­ca­tions sec­ondaires, le rythme imposé. Tenu de respecter un horaire, cha­cun doit organ­is­er sa faim pour qu’elle coïn­cide avec les péri­odes de dis­tri­b­u­tion de nourriture.

Alchimie

Le juridisme est le juste com­plé­ment d’une société cap­i­tal­iste en mal de marchés. Il per­met de mul­ti­pli­er sur une base arti­fi­cielle les actes de con­som­ma­tion. Méth­ode d’alchimiste: trans­former n’im­porte quel matéri­au en or par la ver­tu d’une parole cryp­tique et monop­o­lisée.
- Vous avez soif ? Je peux vous ven­dre de l’eau. Ce sera cinq francs. Mais avez-vous une licence qui me prou­ve que vous ne tomberez pas malade si vous con­som­mez de l’eau? La licence est à cent francs.