Repérages

A Zoll­haus, je bifurque sur la val­lée de Gantrisch, passe le pont sur le Sense à Sanger­bo­den et monte la voiture jusqu’aux derniers chalets. De là je grimpe à pied con­tre la pente afin de gag­n­er un som­met repéré ce jour d’avril où, venu marcher avec les enfants dans le lit de la riv­ière, une avalanche nous avait obligé à faire demi-tour. Assis dans des chais­es de toile un cou­ple me salue sous le dra­peau. Je m’en­gage dans une forêt.  La terre s’éboule sous mon pied, les trous de renard cèdent. Pour repren­dre le souf­fle, je me hisse sur les souch­es. Le brouil­lard se lève. Je remise mon T‑shirt mouil­lé, les mains ten­dues zigzague par­mi les vach­es. La mon­tagne dis­paraît. Pour obtenir un point de vue, je me pré­cip­ite dans les coups de vent, me hisse sur la point des chaus­sures.  Alors je tire droit et j’at­teins au bout d’une heure d’ef­fort une cime abrupte. Impos­si­ble de savoir s’il s’ag­it de ma mon­tagne, mais on ne peut y installer un campe­ment. Aus­sitôt, je m’ob­s­tine. Pen­dant tous ces mois, je me suis représen­té un talus d’herbe rase, quelques pier­res pat­inées, un paysages doux. Je les cherche. Lorsque les nuées glis­sent vers l’est, un cirque appa­raît. A quelques deux cent mètres, en con­tre­bas, un alpage. Con­tre la pente broutent les vach­es.  Plaçant un pied devant l’autre, je longe l’ar­rête. Au loin une croix. Jahr der Berg 1981. Et  à sa base, un trou. Crevassé, rem­pli de cail­loux, mais si je les dégage, si je creuse et niv­elle la terre je pour­rai peut-être piquer la tente. Je saute dans le trou, appré­cie ses hauts-bor­ds: ils me pro­tégeront du vent. Quand je recule pour mieux juger, je manque tomber dans le vide. Si je m’in­stalle dans ce lieu, je serai à la mer­ci du vide chaque fois que je me lèverai la nuit. Je ramasse mon sac et descends vers l’al­page.  Un armail­li roule à moto. Il con­tourne un rocher. Le silence revient. Bruit de cloches, vaste ciel. Peu à peu le soleil chas­se les nuées. J’avise une con­struc­tion dans la paroi d’une mon­tagne. Mais non, ce n’est pas ça que je veux. Et puis, pas d’al­page. Du vert, du noir, de la pierre, nul mou­ve­ment. Voilà qua­tre heures que je marche. Je mange le petit beurre que j’ai emporté. J’hésite à explor­er un mamel­on d’herbe fraîche. Une minute plus tard, je suis assis sur dans son herbe. Le paysan l’a clô­turé pour éviter que les bêtes ne le man­gent, il sem­ble agréable, la vue est pais­i­ble, les per­spec­tives pro­fondes. Il fera l’af­faire. Con­tent, je décide de retourn­er à Fri­bourg. Je piv­ote, passe un T‑shirt sec et prend des repères: fontaine à deux kilo­mètres, chemin car­ross­able à une heure de marche. Je déposerai mes pro­vi­sions en voiture puis les mon­terai à pied. Une heure passe. J’escalade le cirque, descends sur un plateau, remonte, décou­vre la val­lée. La main en visière, je vois Sanger­bo­den. Qui me sem­ble soudain bien grande. De même que la route can­tonale, trop large. Des écriteaux indiquent les sen­tiers péde­stres. Me voici per­plexe. Aucun nom que je con­naisse. J’ou­vre la carte. Je veux me situer et n’y parviens pas. Je déplie une autre carte.  Alors je vois où je suis. Est-il pos­si­ble que j’ai tant marché? Si je veux regag­n­er la voiture, il me faut gravir trois cols. J’ap­pelle devant un alpage sur­mon­té d’un dra­peau néo-zélandais. Per­son­ne. Je marche trois heures. Et soudain, une val­lée enchan­tée! Arbres menus, boss­es de terre, parois qui mon­tent au ciel, et de toutes parts de la lumière. J’ai trou­vé. J’ig­nore où se trou­ve cet endroit, mais de retour à la mai­son, je le saurai. L’en­droit rêvé pour une instal­la­tion. fatigué et réjouis, chem­i­nant à grands pas, il me faut trois heures de plus pour regag­n­er la val­lée de Sanger­bo­den. Or, quand j’at­teins la route, je vois que je suis encore loin. Deux cars de poste par jour. Aucun traf­ic. Plus tard j’ar­rête une voiture. Un paysan coif­fé d’une feu­tre vert me fait mon­ter. Je serre entre les genoux le bidon de myr­tilles qu’il a cueil­li dans le bois et tiens à la main une gerbe de feuil­lage odor­ant. Il me dépose sur la riv­ière. J’en­tre­prends la mon­tée de six kilo­mètres qui mène à la voiture.