Les livres sont à commander auprès de l’huissier au premier étage de la bibliothèque. De ma poche j’extrais la carte de lecteur. Une femme en tchador m’a précédé. Ignorante de la procédure, elle demande des explications. L’huissier a une barbe douce, il est compréhensif, aimable et joue son rôle: il explique. Je ne relèverai pas la tête, ne regarderai pas cette femme. Je refuse de la voir. Admettre qu’elle se trouve là, à mon côté, dans une bibliothèque, non, assez d’insultes! Et puis à quoi peuvent servir ces deux talons de coupons disposés sur le meuble de l’huissier, l’un zébré, l’autre imprimé d’un code barre? Quand vient mon tour, l’huissier dépose ma carte de lecteur dans une anfractuosité du parquet. Affluent des fourmis rouges. Elles grimpent sur le ticket, le recouvrent, le dressent.
- Ne dîtes rien, je dois voir ce qu’il y a au verso de votre ticket et seules les fourmis sont habilitées à le retourner.
- Tout de même, votre bibliothèque pourrait offrir quelques ouvrages à l’emprunt!
- Monsieur, laissez-moi travailler!
Les fourmis dégorgent du parquet et montent sur ma chaussure. Je la retire et bute sur un carton de livres. Des traités, des livres de théologie, de annales historiques. De ces cartons où les bibliothécaires jettent en vrac sous l’inscription “Servez-vous!” les volumes qu’ils n’ont pas le courage de passer à la poubelle.