Sans veste ni pull, sur mon vélo, dans le secteur de la douane, et il se met à pleu­voir. Après avoir fait une vis­ite à Olof­so et aux enfants, remis la BMW à mon père, je grimpe la rampe de Chouil­ly et me promène dans le vig­no­ble. Vil­lages de priv­ilégiés où sub­sis­tent quelques paysans, voitures chères garées au cordeau sur des cas­es blanch­es, fer­mes rénovées, restau­rants en mal de pres­tige. Pour­tant un véri­ta­ble bien-être se dégage encore du lieu. J’aime beau­coup cette fumée de bois qui sort d’une chem­inée et par­fume l’air. La prox­im­ité naturelle des habi­ta­tions aus­si. Sans rap­port avec les lop­ins clô­turés des quartiers de vil­las. Désor­mais le paysage est dess­iné à l’or­di­na­teur; dans les vil­lages, le seul maître d’oeu­vre est le temps. En plaine file le train région­al pour Genève. Olof­so et les enfants sont à bord. Olof­so va dis­cuter en famille l’héritage de son père mort d’al­cool et d’épuise­ment en mars. Il laisse trois maisons dans le Val de Bagnes. Un chalet inachevé, squelette sur la mon­tagne, un alpage et une mai­son sus­pendue au-dessus du vide, con­stru­ite à coup de pots de vins par des Valaisans cor­rom­pus. Lorsque le père était éleveur de vach­es écos­sais­es, plusieurs bêtes avaient fait la chute. Pour les récupér­er trois cent mètres plus bas, il fal­lait une heure de route. A Peis­sy, la pluie cesse. Je colle sur les portes per­dues des annonces pour la vente de la mai­son de Lhôpi­tal puis rejoins Meyrin-vil­lage. J’ai froid. Qua­tre restau­rants ouverts. Qua­tre pizze­rias. J’aime mieux le froid. Un cinquième où se joue des cours­es de chevaux. Il sert des piz­zas. J’en­tre. Il reste une table. Elle est petite, ronde, poussée con­tre un pili­er, elle est dans la tra­jec­toire de la serveuse. De l’autre côté du pili­er une tablée de vingt per­son­nes. Un club. Sport, phi­latélie, con­tem­po­rains, impos­si­ble à dire: grands adultes en pyja­ma, vieil­lards bonaces et couper­osés, jeunes filles épaiss­es. La serveuse trébuche sur le sac à dos que j’ai posé à terre. Au retour, elle me bous­cule. Enfin je passe com­mande d’un choco­lat chaud, elle me le sert tiède. Je ren­voie, elle rap­porte. Tiède. Une cloche tinte en cui­sine. Les plats des mangeurs sont prêts. Des pâtes à la sauce rouge. Fumet dis­suasif. Gros tas de pâtes sur assi­ette. Ces pâtes bon marché ven­dues en paque­ts de 5 kilos chez les grossistes. Ma mère s’en ser­vait pour pré­par­er le rata des chiens Napoléon et Cuau­the­moc à Mex­i­co. Je veux pay­er, on m’ig­nore. Je vais au comp­toir. La serveuse prend ma pièce, pose le change, s’en va. Quand je sors, je vois que nous avons dans cet étab­lisse­ment qua­tre cadres d’af­fichage cul­turel. Main­tenant je sil­lonne la cité de Meyrin.  Au sol les nou­velles lignes de tram sont si nom­breuses que je roule en zig-zag. Plus tard je sym­pa­thise avec deux enfants qui amè­nent leurs lap­ins brouter le gazon au pied d’une tour. Aux Champs-Fréchets une épicerie por­tu­gaise est ouverte. On y trou­ve des bar­res de choco­lat, du pain dégelé et des soupières en porce­laine. Et des cadres d’af­fichage. Il y a trois ans j’ai démarché cet endroit puis je l’ai oublié. J’avale un Bieber­li et emprunte une sen­tier qui amène en France. Dans la forêt qui longe la fron­tière, côté suisse, quelques maisons éton­nantes qui ne devaient intéress­er per­son­ne il y a encore vingt ans et offrent aujour­d’hui une sit­u­a­tion de calme envi­able à portée de la ville. A seize heures mon père et sa femme rap­por­tent les deux voitures pleines des effets pris à Lhôpi­tal. Je trans­fère ordi­na­teurs et stéréos, mon père me mon­tre le Christ de Velazquez et par­le de le repein­dre à l’huile. Le Christ dis­paraît dans le cof­fre de sa Mer­cedes. — C’est vrai­ment bien ce que tu as fait, c’est une belle mai­son, me dit encore mon père avant de démar­rer en direc­tion de Lausanne.