Séance éprouvante chez le dentiste, la bouche pleine d’outils. Le jeune docteur fribourgeois en début de carrière démonte les réparations de fortune faites ces trois dernières années par le praticien de Seyssel. Sept , huit, dix fois, ce dernier m’a fait venir dans son cabinet au second étage d’une maison de pierre grise au-dessus des berges du Rhône. Assis sur la chaise j’apercevais dans l’encadrement de la fenêtre la vierge blanche de plâtre que la mairie a maçonné sur le pilier majeur du pont. Dentiste sympathique mais sans assistante, opérant dans une pièce mal chauffée aux parois de carton gonflées d’eau. Et après chaque intervention, cette annonce: oh là, ne croyez pas si bien dire, on est encore loin du compte! Dans les premiers temps, ravi de payer un prix modique — le prix moyen que rembourse l’assurance maladie française — j’éventais les doutes de Gala quant à la qualité des soins. Pourtant l’intuition, si je m’y étais fié, m’eut averti: n’ai-je pas écrit la première nouvelle de Sinistoria, Frère John en pensant à ce dentiste (le dentiste arrache les dents du religieux et les jette dans un poubelle puis s’en va dormir)? Effet pervers de la médecine sociale à la française qui bloque les prix pour garantir l’accès aux soins: afin d’être payé au prix qu’il croit mériter, le professionnel démultiplie les visites et s’en débarrasse à la va-vite. Ce qui m’a valu de souffrir ce matin. Là encore: nous sommes à mi-parcours, dit le Fribourgeois, il y a du travail.