Je voy­ais. Je ne dis pas: j’ai vu. Je les voy­ais. Ils étaient en mou­ve­ment, et donc je les voy­ais, se tenir devant, pass­er, être là, s’en aller. Après quoi, je pou­vais me dire, sans exagér­er, j’ai vu. La rue, le lieu, la salle de ren­con­tre, prévue à cet effet, la ren­con­tre, était à nou­veau vide. Il étaient passés. On se touche pour véri­fi­er: mais oui, je suis tou­jours là, tout va bien, je vis, et c’é­tait mon but, en ce lieu, voir, être vu, par­ler, avec quelqu ‘un qui passe, et quelque chose s’est passé — quoi? Je cherche. Dépité, on s’adresse des reproches. Pour savoir. Eh bien, il n’est rien passé. Dure con­clu­sion. C’est réus­si. C’est réus­si. Après tout, ce n’est pas rien. Détru­ire une human­ité est une grande réus­site. Aujour­d’hui, voilà la chose accom­plie. Nous avons nos forces, nos pieds pour nous tenir à la hau­teur des vis­ages, les vis­ages des autres, et les autres ont les mêmes pieds, les mêmes jambes, les mêmes forces et se tien­nent à la même hau­teur, la bonne hau­teur pour fab­ri­quer, avec désir, un regard. Mais cela ne marche pas. C’est comme une machine qui eût été écartelée: ses rouages, en mou­ve­ment, ne com­mu­niquent plus. La parole échoue avant d’at­tein­dre  l’autre. L’autre per­son­ne, celle qui passe, l’autre vis­age, celui qui devait s’at­tarder, for­mer la pâte. Mais non. Cha­cun dérive, retombe, s’en­gloutit. C’est l’apothéose, c’est la fin. La nuit va pren­dre ses droits.